Qu'en pensez vous ?Un croisement entre les États-Unis et la République fédérale allemande, voilà à quoi devrait ressembler la future fédération de la zone euro selon la Commission européenne. Même si l’exécutif européen se garde bien de prononcer le « f word » (elle préfère la très médiatique expression : « union économique et monétaire véritable et approfondie »…), c’est bien un saut fédéral qu’elle propose aux États membres d’effectuer dans une «communication » de 55 pages rendue publique mercredi. Un document particulièrement ambitieux qui tranche avec l’habituelle prudence de José Manuel Durao Barroso : il n’a pas hésité à batailler plus de cinq heures pour faire adopter ce texte par le collège des 27 commissaires.
Le président de l’exécutif européen se met ainsi en position de peser sur le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement des 13 et 14 décembre prochain qui doit adopter la « feuille de route » listant les étapes menant à l’union politique de la zone euro : il redoute, en effet, que les gouvernements profitent de l’accalmie qui règne sur les marchés pour remettre à plus tard une intégration, certes douloureuse en terme de partage de souveraineté, mais absolument nécessaire. « Le papier de la Commission, particulièrement ambitieux, est parfaitement compatible avec notre feuille de route », se réjouit-on dans l’entourage de Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, qui met actuellement la dernière main à ce document en collaboration avec Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne et… Barroso. « La différence est qu’il entre dans des détails que nous n’aborderons pas, car ils peuvent fâcher ».
L’idée centrale de l’exécutif européen est d’aboutir dans cinq ans (au plus tôt, car il faudra modifier les traités européens) à la mise en place d’un « budget central important » de la zone euro qui permettrait de faire face à des « chocs asymétriques » (c’est-à-dire touchant certains États membres et pas d’autres) ou à des « chocs communs à la zone euro ». La Commission estime même qu’il pourrait servir à mettre en place des politiques contracycliques à court terme, « comme par exemple dans le système américain d’allocations de chômage où un fonds fédéral rembourse 50 % des allocations excédant la durée standard à concurrence d’un maximum donné, sous réserve que le chômage ait atteint un certain niveau et continue d’augmenter ». Il ne s’agit donc pas de mettre en place des « transferts permanents », car cela aurait des effets pervers en encourageant l’irresponsabilité des gouvernements.
Ce budget serait alimenté par des ressources propres ne dépendant pas des États (comme la taxe sur les transactions financières ou la taxe carbone). Mieux : il pourrait avoir recours à l’emprunt, ce qui passerait par la mise en place d’un « Trésor européen ». Pour la Commission, seule cette « dette fédérale » serait politiquement acceptable à la différence de la mutualisation des dettes nationales. En effet, cette seconde option poserait un problème démocratique : par exemple, pourquoi la France serait-elle responsable des dépenses italiennes alors qu’elle ne les a pas votés ? Imagine-t-on un vote commun par tous les Parlements nationaux de tous les budgets nationaux ? Impossible, évidemment. D’ailleurs, aucune fédération ne fonctionne ainsi. Dans le schéma fédéral retenu par la Commission, la question démocratique peut-être résolue sans difficulté : le vote des ressources et le recours à l’emprunt seraient proposés par l’exécutif et votés par le Parlement européen et le Conseil des ministres de la zone euro.
La zone euro ressemblerait, de ce point de vue, aux États unis. Mais, dans le schéma américain, depuis la fin du XIX siècle, chaque État fédéré reste responsable de son budget et peut faire faillite sans que l’État fédéral n’intervienne. La Commission estime que la zone euro, qui n’est pas suffisamment intégrée politiquement, ne peut pas aller jusque-là : un défaut de paiement risquerait, en effet, de pousser l’État qui en est victime à quitter la zone euro afin de se refaire une santé par la dévaluation (même si les effets bénéfiques d’une telle sortie restent à démontrer) ou les marchés à spéculer sur une telle sortie, comme aujourd’hui avec la Grèce.
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Toujours pour renforcer la convergence et solder le passé, la Commission veut mettre en place un « fonds d’amortissement de la dette », tel que proposé par le conseil des sages économiques allemands. L’idée est de mutualiser les dettes nationales dépassant les 60 % du PIB afin de garantir le financement de « la dette excessive à un coût soutenable » et, ainsi, de permettre aux États, tout en réduisant leur niveau d’endettement, d’investir et de relancer leur croissance à long terme. Pour éviter les problèmes de trésorerie que rencontrent les États en difficulté financière, la zone euro pourrait aussi mutualiser son marché de la dette à court terme (un à deux ans) afin d’éviter d’alimenter la spirale de l’endettement. Il ne s’agirait pas d’augmenter le niveau d’endettement, mais de permettre aux États de se financer à des taux bas. Comme pour le fonds d’amortissement, ces « eurobills » seraient soumis à une stricte conditionnalité, c’est-à-dire que les États en bénéficiant devront souscrire un programme d’ajustement structurel. Cet ensemble serait complété par une union bancaire totale (y compris une garantie commune des dépôts bancaires) et une représentation unique de la zone euro dans les institutions internationales.
Avant d’en arriver à une intégration aussi forte, qui impliquera une profonde réforme des traités européens, la Commission propose une série d’étapes intermédiaires « à traité constant ». Ainsi, une « capacité budgétaire » de la zone euro pourrait être mise en place progressivement et serait utilisée, dans un premier temps, pour aider les États qui procéderaient à des réformes structurelles importantes pour se remettre à flot. Ceux-ci, pour bénéficier de l’aide européenne, signeraient de véritables « contrats ». De même, les aides régionales (fonds structurels) ne pourraient plus être utilisées que pour financer des projets favorisant la croissance.
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Ce document est-il acceptable par tous les États ? « On sent dans ce texte la patte de l’Allemagne », estime un diplomate européen : celle-ci n’a, en effet, jamais caché qu’elle souhaitait, pour prix de sa solidarité financière, mettre en place une contrainte maximale sur les politiques budgétaires nationales. De même, si elle refuse toute mutualisation des dettes nationales, elle est beaucoup moins réticente à la création d’une « dette fédérale ». De même, le document de la Commission est compatible avec « l’intégration solidaire » que prône François Hollande : pour le chef de l’État, toute modification des traités doit être justifiée par un accroissement de la solidarité. L’exécutif européen ne dit pas autre chose : « la voie à suivre doit être soigneusement équilibrée. Il convient de combiner les mesures de renforcement des responsabilités et de la discipline économique avec une plus grande solidarité et un plus grand soutien financier » et « assurer la légitimité démocratique et l’obligation de rendre des comptes ».
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Dans un encadré juridique particulièrement obscur, elle évoque la possibilité de ne décider qu’à dix-sept tout en demeurant « ouvert » aux États qui ont vocation à rejoindre l’euro… Un front qu’il faudra un jour ou l’autre ouvrir, la Commission le sait : « mais il faudra un axe franco-allemand déterminé pour faire cesser le chantage permanent des Britanniques, ce qui n’est nullement acquis vu ce qui s’est passé la semaine dernière lors des négociations budgétaires », prévient cependant un haut fonctionnaire européen.
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