Qu'en pensez vous ?Un livre, un documentaire et plusieurs articles pointent les conflits d'intérêts des économistes médiatiques, et dénoncent une pensée unique. Réactions de Patrick Artus, économiste à Natixis, et de Dominique Plihon, d'Attac.
Dans son livre les Imposteurs de l'économie (Ed. Jean-Claude Gawsewitch), le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit dénonce la «monopolisation» du débat économique par «une vingtaine d'experts», sujets aux conflits d'intérêt ou à une pensée unique libérale.
Un réquisitoire déjà dressé par le documentaire les Nouveaux Chiens de garde ou un récent article du Monde diplomatique. Libération.fr a fait réagir les économistes Patrick Artus (chef économiste de Natixis, professeur associé à Paris-I et administrateur de Total) et Dominique Plihon (professeur à Paris-XIII, président du conseil scientifique de l'association Attac).
Le débat sur la légitimité des économistes vous semble-t-il bienvenu ?
P. Artus : Avoir une double affiliation, académique et privée, ne me semble pas blâmable. Je pense au contraire que, dans certains cas, cela permet de mieux analyser la réalité. Tandis que certains universitaires «purs» restent très loin des choses empiriques et pratiques.
Il est vrai cependant que le conflit d'intérêt peut exister quand on travaille pour une institution privée. Le problème me semble moins aigu en Europe continentale que dans le monde anglo-saxon, où il y a plus de pression sur les économistes pour que ceux-ci aillent dans le sens du busineess. Mais de toute façon, si vous racontez des bêtises aux clients, vous ne les gardez pas longtemps.
D. Plihon : On a besoin, dans la société, de débattre du rôle des économistes, de la manière dont ils fonctionnent, dont ils sont recrutés, rémunérés. C'est très sain. Le livre de Laurent Mauduit, mais aussi le documentaire les Nouveaux Chiens de garde et l'article du Monde Diplomatique y ont contribué.
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Estimez-vous qu'il y a dans les points de vue économiques une rélle diversité d'expression ?
P. Artus : Je pense que ce qui est absolument nécessaire, c'est un consensus sur les faits, que les chiffres soient indiscutables. Au-delà, il me semble qu'il existe une assez grande diversité. Il est faux de dire que la théorie dominante est celle des marchés parfaitement efficients. Voilà des années que l'on enseigne le contraire dans les écoles. Et il y a un vrai débat entre économistes de droite et de gauche, par exemple sur la fiscalité.
D. Plihon : Il y a une représentation dominante, néolibérale, qui croit que les marchés livrés à eux-mêmes vont forcément converger vers un équilibre stable. Et un courant hétérodoxe pour qui les marchés sont instables, fonctionnent par emballement, et doivent donc être étroitement régulés.
L'économie dominante, néolibérale, s'exprime cinquante fois plus que les courants hétérodoxes.
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Vous-même aviez pourtant déclaré en avril 2008 : «la crise est finie.»
P. Artus : Je ne le regrette pas. Nous étions sur le point de nous en sortir, quand les Etats-Unis ont décidé de laisser mourir Lehman Brothers, ce que je ne pouvais évidemment pas prévoir. Sans cela, la crise serait effectivement passée.
Pour les vrais économistes, la complication, c'est que nos modèles ne rendent pas facile la prévision des crises, qui sont par définition des moments de rupture des règles habituelles. De plus, comme la spécialisation s'est accrue, il est parfois compliqué de relier entre eux les différentes composantes d'une crise.
D. Plihon : On n'a jamais autant entendu les économistes, mais je pense que ce débat sur les conflits d'intérêt va les décrédibiliser. J'espère que les journalistes se montreront plus rigoureux sur les questions de transparence. L'économie est politique, donc nécessairement fondée sur des a priori sur la société. C'est normal qu'il y ait des libéraux et des régulateurs, mais il faut un équilibre entre ces courants dans le débat public. Retrouvez l'intégralité de cet article sur Liberation.fr
A plus tard,