Le paradis fiscal n'est donc pas le seul lieu pour commettre des activités délictueuses, loin de là.
Pas les mêmes montants, ni les mêmes dégâts
La préoccupation, pour ne pas dire l'obsession, des hommes politiques pour les paradis fiscaux est peut-être due à une méconnaissance de toutes les applications des places off-shore. L'évasion fiscale - qui peut avoir un pendant légal, qui réside dans l'exploitation de vides juridiques, que beaucoup de multinationales, y compris installées en France, connaissent bien - est évaluée à 50 milliards d'euros par an, et encore, c'est le haut de la fourchette. La criminalité organisée, elle, se compte en milliers de milliards ! Les carrousels de TVA (un mécanisme de fraude qui consiste à se faire rembourser indûment de la TVA dans des transactions virtuelles au sein de l'Union européenne) coûtent, à eux seuls, entre 10 et 12 milliards par an à la France !
Alors bien sûr, éradiquer complètement les organisations criminelles est illusoire, mais on peut au moins leur rendre la vie plus dure et récupérer pas mal d'argent. Ce n'est pas plus difficile que de lutter la fraude fiscale.
En 2001, la Belgique a pris des mesures radicales contre les carrousels de TVA, parvenant à réduire son préjudice de 55% dès la première année. Au bout de trois ans, ce taux a atteint presque 90%. Si l'on s'attaquait de la même manière au phénomène en France, avec des moyens égaux ou supérieurs, nous "gagnerions" 4 voire 6 milliards d'euros dès la première année de lutte effective. Car même un taux de réussite moindre, de l'ordre de 40%, ramènerait 4 milliards dans les caisses de l'Hexagone.
A côté de ces chiffres, les 800 millions d'euros récupérés grâce à la chasse aux fraudeurs menée par Eric Woerth, lorsqu'il était ministre du Budget, à grand renfort d'annonce de listes et de menaces de dénonciation, paraissent bien faibles.
Mais la principale différence entre la fraude fiscale et l'argent blanchi par le crime organisé ne se trouve pas du côté des chiffres. Elle réside dans les intentions et les conséquences. Quand un individu pratique la fraude fiscale, il esquive un paiement d'impôts, ce qui n'est pas bien, mais l'argent est pour lui. Le crime organisé, lui, a d'autres conséquences : l'argent est réinvesti ensuite en stupéfiants, en armes, en trafic d'êtres humains, etc. Le réseau d'activités criminelles s'auto-entretient et se développe. Cela porte directement atteinte à la sécurité intérieure et à la stabilité économique internationale.
En conclusion, je me contenterais de livrer les cinq principaux griefs à l’encontre des places off-shore. Ils permettent de mieux appréhender la place qu'occupe la fraude fiscale par rapport à d'autres activités, elles aussi délictueuses. Ainsi, les places off-shore :
1- Favorisent l'évasion et la fraude fiscales. C'est pour cela que les premiers paradis fiscaux y ont vu le jour.
2- Facilitent le blanchiment d'argent. Selon l’ONUDC, 1.600 milliards de dollars d'argent sale ont été introduits dans le système économique en 2009. Le chiffre d'affaires global du marché de la drogue dans le monde est estimé entre 300 et 500 milliards [1] de dollars annuels. Le montant de la corruption est évalué par la Banque mondiale à plus de 1.000 milliards de dollars par an.
3- Aident au financement du terrorisme. Après les attentats du 11 septembre 2001, les autorités américaines [2] ont retracé le système de financement d'Oussama Ben Laden et indiqué qu'il pratiquait en maître les placements dans les territoires off-shore.
4- Constituent un obstacle majeur à la coopération judiciaire internationale. Comment atteindre un réseau criminel qui, en l'espace de quelques secondes, fait valser l'argent d'une place offshore à l'autre, en multipliant les sociétés écrans et sans que ces places financières ne répondent aux commissions rogatoires internationales ?
5- Fragilisent le système financier international.
http://leplus.nouvelobs.com/contributio ... orite.html