Je ne suis pas forcément en désaccord avec ton propos, mais je m'interroge sur la méthodologie de Piketty.
Et de façon plus générale, je souhaite nuancer certaines idées communément admises à propos de notre fiscalité.
Déjà, comment Piketty définit-il les différents déciles ? Les Français sont-ils classés en fonction de leurs revenus par personne ou par foyer fiscal ?
A la lecture du graphique de Piketty, on constate que la fiscalité demeure progressive pour les 90 premiers centiles, qu'elle se stabilise pour les centiles 90 à 99, et qu'elle régresse seulement pour le centile le plus élevé, pour des raisons probablement assez spécifiques, tenant à une structure de revenus particulière (tu as toi-même évoqué l'importance des revenus du capital chez ces gens-là). Alors on peut débattre de ce centile le plus élevé, mais est-ce vraiment opportun ? Je veux dire : ce centile représente une part négligeable de la population (1%, par définition), donc ce n'est pas en augmentant la fiscalité pour ces gens-là qu'on pourra financer des faveurs sociales ou fiscales pour les "classes moyennes".
Par ailleurs, on dit souvent que l'IR représente une proportion assez faible des recettes fiscales. Dans l'absolu, c'est vrai. Mais on peut aussi considérer la CSG comme une forme d'IR, puisqu'elle touche tous les revenus de tous les contribuables. La nature juridique de la CSG (impôt ou cotisation) fait débat chez les juristes et les économistes : le CC la considère comme une imposition de toute nature et non comme une cotisation sociale. D'ailleurs, Piketty lui-même traite ensemble la CSG et l'IR, ce qui accrédite l'idée qu'il considère la CSG comme une variante de l'IR. Donc si on traite ensemble la CSG et l'IR, on constate, à la lecture du graphique de Piketty, que la fiscalité des revenus demeure progressive, pour les 99 premiers centiles.
Quant aux cotisations sociales, j'ai déjà plaidé pour leur fiscalisation. Le financement de la protection sociale (au moins hors assurance-vieillesse) serait ainsi assuré par une fiscalité progressive, et frappant tous les revenus (et pas seulement les revenus d'activité). Mais il faut aussi avoir conscience que, si on fiscalise le financement de la protection sociale, ça veut dire qu'on en retire la gestion aux partenaires sociales pour la confier à l'Etat. On passe d'une gestion paritaire de type bismarkien à une gestion étatique de type beveridgien. Moi, ça ne me gêne pas, mais il faut savoir que cette éventualité ne fait pas consensus.
Reste le cas particulier de la fiscalité du capital. Il serait tentant de dire que le capital doit être taxé autant que le travail (si ce n'est davantage), et donc que sa fiscalité doit être intégrée à l'IR. Je ne suis pas loin de penser comme ça, mais... a-t-on bien mesuré tous les enjeux ?
Déjà, il faut savoir que la France est un pays où la fiscalité du capital est plus lourde qu'ailleurs :

On constate que des pays comme l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, qui se caractérisent par un relatif dynamisme économique malgré un coût du travail élevé, pratiquent une fiscalité sur le capital plutôt modérée. Peut-être y a-t-il un lien de cause à effet ?
Augmenter encore la fiscalité sur le capital, et plus généralement, la fiscalité sur les plus aisés, peut être tentant, mais gare aux effets pervers. Lire
cette analyse intéressante.
Sauf erreur de ma part, les héritages et les intérêts du livret A ou du LDD sont des revenus du capital. Fiscaliser le capital comme le travail reviendrait à taxer plus lourdement les héritages et les intérêts du livret A ou du LDD. Il faut le dire clairement. Si on fait un sondage dans lequel on demande aux gens s'ils sont d'accord pour aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, ils disent oui, bien sûr. Si on leur demande s'ils sont d'accord pour taxer plus lourdement les successions et pour fiscaliser les intérêts du livret A et du LDD, leur réponse ne sera pas la même...