La fable de l'impôt sur les parapluies de Maurice Cozian

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El Fredo
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Message non lu par El Fredo » 30 avr. 2010, 14:33:00

Un vieux classique de la littérature fiscaliste (http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Cozian) :
Dans la libre République de Socratie dont la fiscalité décadente était devenue, comme la nôtre, parfaitement inapplicable à force de complexité, un parlementaire intelligent obtint certain jour un succès inouï qui, de la gauche à la droite, lui valut les ovations enthousiastes de tous ses collègues. Il venait d’exposer qu’il était possible de supprimer purement et simplement les 53 impôts et 448 taxes qui paralysaient l’économie socratienne et de les remplacer par une seule contribution dont le texte tenait en deux lignes :

Article 1er (et dernier) : « tout possesseur de parapluie devra acquiter une contribution annuelle de 1000 F. »

Durant la suspension de séance, l’auteur du projet fut joyeusement congratulé par ses amis et adversaires politiques, émerveillés d’un projet qui alliait heureusement la simplicité, l’équité, le réalisme et le rendement. Puis à la reprise, le Président du Conseil se leva de son banc, et aprés avoir éloquemment vanté les mérites du génial projet et adressé ses éloges à son auteur, il se fit l’interprète des scrupules du ministre des forces armées en demandant que l’on voulût bien, avant toute discussion au fond, déclarer solennellement que serait exonéré de toute taxe le parapluie de l’escouade. Tous votèrent comme un seul homme, à main levée, et la suite des debats fut remise à huitaine.

La semaine suivante le premier parlementaire qui apparut à la tribune était un membre de la gauche. Il demanda une réduction de taxe en faveur des parapluies de coton habituellement utilisés par les employés et ouvrières d’usine pour se rendre à leur travail. Le caractére professionnel du parapluie de coton apparut avec évidence à la majorité, malgré l’intervention d’un membre de l’extrême droite qui avait cru voir dans cet amendement une attaque dirigée contre l’industrie de la soie. Ce propos malheureux inspira à un nouvel élu de gauche une proposition tendant précisément à compenser la perte subie sur les parapluies de coton par une majoration sur ceux recouverts de soie et utilisés par les bourgois dans leurs promenades, proposition qui fit rebondir la discussion.

Mais un membre de l’extrême gauche, faisant surenchère, déclara que le parapluie professionnel devait être exonéré totalement et non partiellement, car n’étant qu’un vulgaire pépin, on ne pouvait lui appliquer le vocable de parapluie. Il demanda une exonération analogue en faveur des économiquement faibles, des vieux travailleurs et des enfants des écoles et, on ne sut pas trop pourquoi une majoration sur les pépins qui traditionnellement, pendent au bras des flics en bourgeois.

Un représentant de la droite lui succéda à la tribune et obtint une réduction de 75% pour tout parapluie, de soie ou de coton, utilisé en guise de canne par les glorieux mutilés de la dernière guerre. On accèda ensuite au désir de la gauche d’obtenir le même avantage au profit des résistants.

Un autre parlementaire fit observer qu’un parapluie de coton pouvait être orné d’une poignée de prix qui, en augmentant sa valeur, le rendait plus précieux qu’un parapluie de soie. Il apparaissait donc qu’une taxe complémentaire et progressive devrait être déterminée et appliquée en fonction du prix de la poignée.

Un juriste demanda s’il y aurait transfert de la taxe dans le cas de cession d’un parapluie, si ce transfert de taxe devait s’opérer à l’amiable ou par l’intermédiaire de l’administration et, dans ce dernier cas, lequel du vendeur ou de l’acquéreur, devrait faire les démarches nécessaires. Un modéré fit par de ses scrupules : il lui paraissait juste d’exonerer partiellement les pauvres et de majorer légèrement les riches, mais il reprochait au projet de n’avoir pas prévu le cas des parapluies réparés et recouverts de neuf. Il proposa un taux dégressif tenant compte de la vétusté de l’engin et du nombre de réparation. Une commission, sitôt constituée, élabora en quelques jours un barème général qui comportait néanmoins 19 dérogations en plus ou en moins parmi lesquelles on notait :

- parapluie brisé par un cocu sur la tête d’un rival : 20 % de réduction sur la réduction prévue au barème ;
- parapluie brisé sur la tête d’un adversaire politique : 10 % de majoration sur la réduction prévue au barème (sur présentation de la carte du parti) ;
- parapluie brisé sur la tête d’un malandrin : 20 % de majoration (sur présentation du certificat de police).

Un autre député déclara qu’il ne lui paraissait pas équitable qu’un parapluie ayant déjà été frappé par de nombreuses taxes annuelles continuât, après la mort de son possesseur, à être taxé entre les mains de l’héritiers direct. Il s’ensuivit une discussion assez vive à l’issue de laquelle le gouvernement, ayant posé la question de confiance, faillit être renversé.

A l’ouverture de la séance suivante, un parlementaire du département où se trouvait la plus grosse usine de parapluies, s’indignat que l’on songeât à détruire cette industrie en lui faisant injustement supporter tout le poids de la fiscalité socratienne. Il demanda quelles raisons interdisaient d’appliquer des taxes identiques aux impermèables. Cette intervention véhémente produisit une grosse impression et le principe d’une taxe sur les imperméables fut finalement votée à une majorité confortable.

Un autre parlementaire demanda alors quelles dispositions le ministre des finances entendrait prendre à l’encontre de ceux qui, ne portant ni parapluie ni imperméable, bafoueraient ouvertement les lois de la République. Ce propos lui valut les protestations indignés des députés paysans. Le suivant fit observer que, si il est vrai qu’un parapluie peut servir d’ombrelle, une ombrelle peut servir de parapluie. Il convenait donc d’envisager une taxe sur les ombrelles ; cela le fit traiter de mufle et de mysogine. Néanmoins, il obtint le vote d’une sévère pénalité à l’encontre des fraudeurs portant engin à usage mixte.

D’amendement en amendement, la discussion dura plusieurs semaines dans une Chambre de plus en plus nerveuse où l’on échangea d’abord des quolibets, puis des injures, enfin des coups.

Quand le projet fut voté, il comprenait 1245 articles. En gros, tout possesseur de parapluie ou d’imperméable devait être porteur d’une carte d’identité fiscale comportant d’un côté son état civil, sa photographie, ses empreintes digitales ; de l’autre côté la photographie (face et profil) du pépin ou de l’imper, sa date d’achat, son origine, son prix, sa description sommaire, le nombre de réparations, leur prix, l’adresse du réparateur etc. La carte prévoyait en outre l’inscription des déclarations annuelles faites au fisc, des paiements acquités au percepteur, des amendes encourues, des réductions obtenues et de leur motif, des mentions relatives aux cessions et successions, des objets du même type possédés par les différents membres de la famille, etc, le tout orné de cachets et tampons multiples qui rendaient la carte pratiquement indéchiffrable.

L’administration créa des brigades de vérification. Les unes furent composées d’experts en pépins, les autres, éminents spécialistes de l’imper. Mais leurs inquisitions sucessives soulevèrent de protestations chez ceux qui possédaient á la fois imper et pépin, que dans un but d’apaisement, un haut fonctionnaire des finances crut judicieux de constituer un corps d’inspecteurs d’élite á double compétence que l’on désigna de bivalents. Ces derniers, qui relevaient en une seule visite un nombre deux fois plus élevé d’infractions, firent de tels ravages qu’ils provoquérent bientôt une véritable panique dans la population socratienne.

Enfin, un royaume voisin, gros exportateur d’imperméables, constatant la diminution de sa production due aux restrictions que s’imposaient les socratiens pour échapper à l’impôt éleva une protestation qui ne fut pas entendue. En manière de représailles, il dressa une barrière douanière à l’importation des tuyaux de pipe dont vivaient des milliers de socratiens. Il y eut débauchage et crise économique cruelle. C’est au bout de six mois seulement de ce régime fiscal qu’eut lieu en Socratie le coup d’Etat qui amena la chute de la République et l’avènement d’un dictateur : le Général Sabrocler.
If the radiance of a thousand suns were to burst into the sky, that would be like the splendor of the Mighty One— I am become Death, the shatterer of Worlds.

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mps
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Message non lu par mps » 30 avr. 2010, 15:09:00

Excellent ! icon_confused
C'est quand on a raison qu'il est difficile de prouver qu'on n'a pas tort. (Pierre Dac)

Libéral

Message non lu par Libéral » 01 mai 2010, 17:15:00

EXcellent en effet.

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