Pour info l'économie réelle mondiale pèse 60 trillions de dollars, alors que le secteur financier des produits dérivés représente 600 trillions, soit 10 fois plus.Wall Street n'est pas à plaindre
Jeudi, le président Barack Obama est allé à Manhattan, où il a appelé un public venu largement de Wall Street à soutenir la réforme financière. "Je pense, déclarait-il, que ces réformes sont en fin de compte non seulement dans l'intérêt de notre pays, mais aussi dans l'intérêt du secteur financier".
Eh bien, j'aurais préféré qu'il n'ait pas dit cela, et non seulement parce qu'il a besoin, politiquement, de se placer du côté du peuple, de mettre un peu de distance publiquement entre lui et les banquiers. C'est un fait, Barack Obama devrait tenter de faire ce qui est bon pour le pays, point final. Et si cela doit faire mal à Wall Street, ce n'est pas grave.
Je dirais même plus, la réforme devrait même faire mal aux banquiers. Un nombre croissant d'analystes économiques suggèrent qu'un secteur financier trop important fait souffrir l'économie dans son ensemble. Réduire ce secteur ne rendra pas Wall Street heureux, mais ce qui est mauvais pour Wall Street est bon pour l'Amérique.
Or, les réformes en cours d'étude, et que je soutiens, pourraient bien finir par être bonnes aussi bien pour le secteur financier que pour nous (les Américains, ndt). Mais c'est parce qu'elles ne s'attèlent qu'à une partie du problème : elles rendraient la finance plus sûre, mais n'en réduiraient pas forcément la taille.
Que se passe-t-il dans le monde de la finance ? Commencez par le fait que le secteur financier moderne génère d'énormes profits et revenus, tout en distribuant peu de bénéfices réels.
Vous souvenez-vous du film "Wall Street" de 1987, dans lequel Gordon Gekko déclarait "l'avidité, c'est bien"? Selon les critères d'aujourd'hui, Gekko serait un petit joueur. Dans les années qui ont mené à la crise de 2008, le secteur financier représentait un tiers des profits nationaux, environ deux fois plus que deux décennies auparavant.
Ces profits étaient justifiés, nous disait-on, parce que le secteur faisait de grandes choses pour l'économie. Il canalisait les capitaux vers des usages productifs ; il répartissait les risques ; il améliorait la stabilité financière. Rien de tout cela n'était vrai. Les capitaux étaient canalisés non pas vers des innovations créatrices d'emploi, mais vers une bulle immobilière qui ne pouvait pas durer ; les risques étaient concentrés, et non répartis ; et quand la bulle immobilière éclata, le système financier soi-disant stable implosa, entraînant la pire crise mondiale qu'on ait connue depuis la Grande Dépression.
Alors, pourquoi les banquiers amassaient-ils tout ? À mon avis, vus les efforts que font les économistes financiers pour donner un sens à la catastrophe, il s'agissait avant tout de jouer avec l'argent des autres. Le secteur financier a fait de gros paris risqués avec des fonds d'emprunt, des paris qui rapportaient gros jusqu'à ce qu'ils tournent mal, mais pouvait emprunter à des taux faibles, parce que les investisseurs ne se doutaient pas à quel point le secteur était fragile.
Et qu'en est-il des bénéfices des innovations financières, autour desquels on a fait tant de foin ? Je suis d'accord avec les économistes Andrei Shleifer et Robert Vishny, qui expliquent dans un récent article qu'une grande partie de ces innovations consistaient à créer une illusion de sécurité, fournissant aux investisseurs de faux substituts aux avoirs traditionnels que sont les dépôts bancaires. L'illusion n'a pas duré, et le résultat fut une crise financière désastreuse.
Au fait, dans son discours de jeudi, Barack Obama insista, par deux fois, que la réforme financière ne freinerait pas l'innovation. Dommage.
Et voilà le problème : après avoir souffert un grand coup juste après la crise, les profits du secteur financier repartent à la hausse. Il ne semble que trop évident que le secteur reprendra bientôt les mêmes activités qui nous ont mis dans cette pagaille.
Alors que faudrait-il faire ? Comme je l'ai dit, je soutiens les propositions de réforme du gouvernement Obama et de ses alliés au Congrès. Entre autres choses, il serait regrettable de voir la campagne républicaine contre la réforme, une campagne marquée par une malhonnêteté et une hypocrisie stupéfiantes, réussir.
Mais ces réformes ne devraient être qu'un premier pas. Nous devons aussi ramener le secteur financier à des proportions raisonnables.
Et il n'y a pas que les adversaires critiques pour s'inquiéter de cela (non que j'aie quoi que ce soit contre les adversaires critiques, qui ont eu bien davantage raison que les partisans soi-disant bien informés ; prenez par exemple Greenspan, Alan). Une curieuse proposition est sur le point d'être dévoilée, venant, tenez-vous bien, du Fonds Monétaire International. Dans un rapport destiné à être rendu public lors d'un meeting ce weekend, le Fonds propose une taxe sur les activités financières (Financial Activity Tax, FAT) prélevée sur les profits et les rémunérations du secteur financier.
Une telle taxe, affirme le FMI, pourrait "limiter la prise de risques excessive". Elle pourrait également "induire une réduction de la taille du secteur financier", que le Fonds présente comme une bonne chose.
Or la proposition du MFI est en fait relativement modérée. Néanmoins, si elle devient réalité, Wall Street va hurler.
Mais le fait est que nous avons consacré une part bien trop importante de notre richesse, et du talent du pays, à inventer et colporter des plans financiers complexes, des plans qui ont tendance à foutre l'économie en l'air. Mettre fin à cela fera mal au secteur financier. Et alors ?
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