La déflation n’est pas le problème, elle est le remède
Après tout quand le prix de nos consommations baisse, nous en sommes ravis. Et ce serait une mauvaise nouvelle ?
Par Vincent Bénard.
Pour 99% des analystes économiques médiatisés, la déflation est un « spectre », une « peur », une « angoisse ». La déflation serait terrifiante pour nos économies. En effet, la déflation, d’une part, renchérirait nos dettes (et nous sommes très endettés), et d’autre part, les consommateurs se diraient que « comme tout serait moins cher demain, mieux vaudrait consommer moins aujourd’hui », ce qui aurait un effet négatif sur le produit intérieur brut.
Il convient de remettre un peu d’ordre dans les idées parfois surprenantes de nos économistes « mainstream ». Après tout, intuitivement, quand le prix de nos consommations baisse, nous en sommes ravis. Et ce serait une mauvaise nouvelle ?
Notons que la plupart de ces analystes utilisent le terme « déflation » dans son acception « commune », à savoir « baisse des prix ». Ce n’est pas rigoureusement exact1, mais restons pédagogiquement accessibles, et contentons nous de l’approximation « déflation = baisse des prix ».
Des prix en baisse retardent-ils la consommation ?
Si l’on exprime le prix des choses non pas en bon argent, mais en temps de travail nécessaire pour l’obtenir, la déflation est l’ordre normal des choses : nous sommes chaque année un peu plus productifs, en témoigne la hausse continue du PIB par habitant, quand bien même nous aimerions qu’elle soit plus forte.
Illustration : le regretté historien de l’économie Jacques Marseille, dans La guerre des deux France, comparait les durées de travail au salaire moyen nécessaire (en minutes) pour acheter certains produits entre 1973 et 2002 :
Impressionnant, non ?
Le fait que la quantité de monnaie varie plus vite que notre hausse de productivité du fait de l’action du fournisseur de monnaie (la banque centrale, avec les banques commerciales) n’y change rien : le prix de ce que nous consommons exprimé en temps de travail tend à diminuer. À une exception près, mais de taille, l’immobilier. J’y reviendrai. Cette « déflation par la productivité » (un économiste jargonnant vous dira : « schumpéterienne ») est assurément une bonne chose, même si le système monétaire fonctionne de façon à faire monter le « prix apparent » des choses.
Votre comportement d’achat serait-il modéré par la perspective de voir le prix de vos achats baisser en termes nominaux ? Imaginons que la quantité de monnaie évolue moins vite que notre production, induisant une « déflation visible » de 1 à 2% annuels. Est-ce susceptible de transformer les consommateurs en attentistes, comme le disent les économistes favorables à l’impression monétaire perpétuelle ? À l’évidence, non.
Le différentiel de prix entre une chose possédée tout de suite et une chose possédée plus tard, est appelé « prix de la préférence temporelle du consommateur », ou « prix du temps ». Nous pouvons constater que la plupart des consommateurs sont prêts à supporter un taux d’intérêt parfois élevé pour posséder quelque chose tout de suite plutôt que d’attendre plusieurs années pour en jouir. Une variation de -2% du prix des choses d’une année sur l’autre ne fait donc que modifier le prix de la préférence temporelle. Si des gens sont prêts à payer 7 ou 8% de plus une chose pour en disposer tout de suite en recourant au crédit, pourquoi une personne disposant d’une somme pour un achat différerait elle plus facilement celui-ci pour un prix de différence temporelle de seulement 2% ? Et si l’achat doit être fait à crédit, cela influera seulement sur le taux maximal que l’acheteur sera prêt à supporter (disons 4%). Et cela tombe bien, car les prêteurs, eux, ne seront pas obligés d’inclure le prix de l’inflation monétaire dans le taux qu’ils proposeront à leur client.
Au reste, cet argument théorique se vérifie largement dans le monde réel : les prix des produits électroniques chutent chaque année de bien plus que 1 à 2%, alors que leurs performances continuent de croître à la vitesse grand V. Cela pousse-t-il les consommateurs à différer leurs achats ? Bien sûr que non. De même la déflation par la productivité était la réalité vécue par tous les grands pays occidentaux au XIXe siècle. En effet, les monnaies étaient gagées sur une quantité fixe de métaux précieux, et leur quantité tendait à évoluer parallèlement, voire un peu moins vite que la quantité de nouveaux biens accessibles grâce à la révolution industrielle. Cela a-t-il empêché cette période d’être bénie en termes de croissance et de hausse du niveau de vie ? À l’évidence, non.
Autrement dit, l’argument des anti-déflationnistes qui vous disent que si demain, les prix baissent, les gens s’arrêteront de consommer, et feront chuter la croissance, est du pur pipeau.
La « déflation de productivité » est le moteur de nos économies
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Vous me direz :
« Mais si le prix de ce que je produis diminue, mon revenu ne va-t-il pas baisser aussi ? »
Bonne question, mais ce n’est pas ce que l’on observe généralement. En fait, les secteurs en gain de productivité vont d’abord couper dans le nombre de postes de travail, et les gains ainsi engendrés seront partagés entre les clients (baisse des prix), les actionnaires (hausse des bénéfices) et les salariés restants (hausse des salaires).
« Et ceux qui perdent leur emploi ? »
Eh bien, dans une économie non entravée par des interventions intempestives de l’État (sur-fiscalité, sur-réglementation, etc.), ils se réemploieront dans les nouveaux secteurs dont l’éclosion est rendue possible par la « déflation de productivité » précédemment décrite, et à des niveaux de salaire généralement plus élevés que dans les anciens emplois.
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