L'exception française de trop
LE MONDE
L'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter.
Le départ de Nicolas Sarkozy de l'Elysée et sa volonté proclamée de siéger au Conseil constitutionnel mettent à nouveau en lumière l'insoutenable paradoxe de la présence à vie des anciens présidents de la République dans cette institution.
Rappelons d'abord que, seule de toutes les démocraties occidentales, la République française fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle. En Italie, par exemple, les présidents de la République au terme de leurs fonctions sont nommés sénateurs à vie. Mais dans une instance juridictionnelle dont la mission première est de juger en droit si des lois votées sont conformes à la Constitution, en quoi la présence à vie des anciens présidents est-elle requise ?
Seule l'histoire explique cette exception, cette bizarrerie française. En 1958, tandis que sous l'autorité du général de Gaulle et la férule de Michel Debré s'élaborait la Constitution de la Ve République, se posa la question très secondaire de la condition faite aux ex-présidents de la République. Le général de Gaulle entendait que le président René Coty, qui l'avait appelé à revenir au pouvoir, bénéficiât d'une condition convenable sous la Ve République. Or la IVe République traitait avec pingrerie ses anciens présidents. Au terme de leur mandat, ils bénéficiaient d'une retraite équivalente à celle d'un conseiller d'Etat.
Pareil traitement parut mesquin au général de Gaulle, par ailleurs pour lui-même totalement désintéressé. Il considérait qu'il y avait là pour le président Coty et pour son prédécesseur, Vincent Auriol, une forme d'ingratitude de la République à laquelle il convenait de remédier. Le Comité consultatif constitutionnel proposa donc de nommer les anciens présidents membres à vie du Conseil constitutionnel nouvellement créé.
Ainsi, les anciens présidents bénéficieraient d'une fonction très honorable, convenablement rémunérée, et qui ne requerrait qu'une faible activité de leur part, puisque, outre le contentieux des élections nationales, le Conseil constitutionnel ne statuait sur la constitutionnalité des lois que lorsqu'il était saisi par les plus hautes autorités de l'Etat, le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le premier ministre. Dans la conjoncture politique de l'époque, ces saisines n'avaient rien d'accablant : de 1958 à 1975, le Conseil constitutionnel connut soixante saisines, soit entre trois et quatre par an en moyenne...
Cette solution parut élégante à tous égards. Le président Coty s'en trouva bien, qui siégea jusqu'à sa mort, en 1962, au Conseil constitutionnel. En revanche, le président Auriol refusa de siéger après 1960, manifestant son opposition à la pratique des institutions de la Ve République voulue par le général de Gaulle.
Les décennies ont passé, et la situation d'origine s'est transformée. En premier lieu, la condition matérielle des anciens présidents de la République s'est améliorée au fil des présidences. Leur donner une rémunération complémentaire comme membre du Conseil constitutionnel ne paraît plus nécessaire, contrairement à ce qui était le cas en 1958. Mais c'est au regard du Conseil constitutionnel lui-même que la présence à vie des anciens présidents s'avère comme une aberration institutionnelle.
(...)
Surtout, le Conseil constitutionnel a connu depuis 1958 une véritable révolution institutionnelle. Depuis 1974, grâce à la réforme conduite par le président Giscard d'Estaing, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour décider de l'inconstitutionnalité éventuelle d'une loi votée par la majorité parlementaire.
Le rôle du Conseil constitutionnel s'est trouvé transformé par cette réforme. D'organe régulateur de la Constitution, il est devenu en fait une véritable Cour constitutionnelle saisie par l'opposition de toutes les lois importantes votées par la majorité pour apprécier leur constitutionnalité. Il est l'auteur d'un véritable "corpus" de jurisprudence constitutionnelle. Il est considéré comme une véritable Cour constitutionnelle par les autres juridictions constitutionnelles, notamment en Europe.
Restait à ouvrir aux justiciables la porte du Conseil constitutionnel. En 1989, je proposai que soit reconnu aux justiciables français le droit de demander qu'une loi invoquée contre eux en justice puisse être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil. Le président François Mitterrand donna son accord à cette nouvelle garantie des droits fondamentaux en France. L'Assemblée nationale, à majorité de gauche, adopta le projet de loi constitutionnelle en 1990. Le Sénat, à majorité de droite, s'y opposa.
En 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Georges Vedel, puis, en 2007, la commission Balladur proposèrent à nouveau la création de cette exception d'inconstitutionnalité. Il est à l'honneur du président Nicolas Sarkozy de l'avoir incluse dans la révision de 2008 sous la dénomination de "Question prioritaire de constitutionnalité" (QPC).
Dès sa mise en oeuvre, réalisée au Conseil constitutionnel sous la présidence de Jean-Louis Debré, cette réforme a répondu aux espérances de ses partisans. La QPC a achevé de transformer le Conseil constitutionnel en instance juridictionnelle. Se pose dès lors avec plus d'acuité encore la question de sa composition : pourquoi appeler les ex-présidents de la République à siéger à vie dans une juridiction constitutionnelle ?
(...)
Il n'est que temps d'en finir avec cette aberration institutionnelle. En 2008, lors de la révision constitutionnelle, le Sénat, à une large majorité, avait voté la suppression de la présence des anciens présidents au sein du Conseil, comme le proposait le comité Balladur. La majorité de l'Assemblée nationale revint sur ce vote. Un collègue influent de la majorité me confia que l'Elysée n'avait pas été étranger à ce choix...
Nous attendons donc du président Hollande qu'à l'occasion de la révision annoncée du statut du président de la République, il soit mis un terme à cette insoutenable exception française. Si la passion de juger de la constitutionnalité des lois anime d'anciens présidents, ils pourront toujours être nommés membres du Conseil constitutionnel pour neuf ans par l'un de leurs successeurs ou le président de l'une ou l'autre des assemblées.
Ainsi pourront-ils exercer la fonction de juger au sein du Conseil constitutionnel dans les mêmes conditions et avec le même statut que les autres membres. Le Conseil constitutionnel et l'Etat de droit n'auront donc rien à perdre à cette réforme et la crédibilité de l'institution et sa renommée internationale ne manqueront pas d'y gagner.
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- El Fredo
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Re: L'exception française de trop
Lumineux et indéniable, comme d'habitude avec Badinter.
If the radiance of a thousand suns were to burst into the sky, that would be like the splendor of the Mighty One— I am become Death, the shatterer of Worlds.
Re: L'exception française de trop
Il y a deux aspects à cette pratique.
La première est d'ordre pécuniaire et peut être modifiée facilement : éméritat, rente ou pension à vie, autre ...
La seconde vient du désir de chaque législateur de maintenir une certaine continuité (ténue) de la chose publique. Certains pays honorent par des postes de "sénateur de plein droit" ; d'autres, comme la Belgique, ont un "Coneil de la Couronne" où se retrouvent les plus éminents serviteurs de l'Etat dans les sitautions particulièrement délicate, où leur expérience est précieuse. Avec cette facilité vis à vis du grand public qu'ils ne sont pas rémunérés.
Franchement, tout cela ne change pas la face du monde.
La première est d'ordre pécuniaire et peut être modifiée facilement : éméritat, rente ou pension à vie, autre ...
La seconde vient du désir de chaque législateur de maintenir une certaine continuité (ténue) de la chose publique. Certains pays honorent par des postes de "sénateur de plein droit" ; d'autres, comme la Belgique, ont un "Coneil de la Couronne" où se retrouvent les plus éminents serviteurs de l'Etat dans les sitautions particulièrement délicate, où leur expérience est précieuse. Avec cette facilité vis à vis du grand public qu'ils ne sont pas rémunérés.
Franchement, tout cela ne change pas la face du monde.
C'est quand on a raison qu'il est difficile de prouver qu'on n'a pas tort. (Pierre Dac)
- Godefroy
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Re: L'exception française de trop
Celà fait braire la gauche, mais avec 9 membres nommés dont 3 à renouveller bientôt, et 3 ex-présidents, le contrôle du CC va échapper à la gauche pour encore un moment. Et comme on remettra la main sur le Sénat en 2014, et le reste en 2017.
L’homme de gauche n’annonce la société solidaire que comme la prostituée promet l’amour. L’un et l’autre ne peuvent offrir que des simulacres (ivresse passagère et frustration). Christian Michel (Le Socialisme, pornographie de la Solidarité)
Re: L'exception française de trop
A mettre dans le même tiroir que tes prédictions de victoire pour 2012 ou on change ?
Les Français vont instinctivement au pouvoir; ils n'aiment point la liberté; l'égalité seule est leur idole. Or l'égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. Chateaubriand
- Godefroy
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Re: L'exception française de trop
Allez, reconnais que tu as peur avec la remontée de Sarkozy, n'est ce pas. Inutile d'être un mauvais vainqueur ronchon.Blaise a écrit :A mettre dans le même tiroir que tes prédictions de victoire pour 2012 ou on change ?
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Re: L'exception française de trop
Je n'ai rien gagné du tout moi, je ne considère pas la politique comme un match de foot je l'ai déjà dit 100 fois. C'est quoi cette histoire de remontée de Sarkozy ??
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Re: L'exception française de trop
Il a retrouvé un peu d'estime auprès des français du fait de sa sortie plutôt réussi,mais pas de quoi présager que la droite peut gagner les législatives.
- Godefroy
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Re: L'exception française de trop
T'aurait il échappé qu'il a commencé la campagne à 40% d'IV au 2nd tour et qu'il a fini bien près de Hollande, finalement plutôt mal élu ?Blaise a écrit :Je n'ai rien gagné du tout moi, je ne considère pas la politique comme un match de foot je l'ai déjà dit 100 fois. C'est quoi cette histoire de remontée de Sarkozy ??
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Re: L'exception française de trop
Ah ça, je croyais que tu parlais de son retour, je trouvais ça un peu prématuré. Bof Hollande mal élu oui si on veut, à force de répéter qu'il allait péter les scores les centristes et les électeurs FN ont voté blanc plus que prévu, voilà tout.
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Re: L'exception française de trop
Vous pensez que le conseil constitutionnel est trop "politisé" ?
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire »
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Re: L'exception française de trop
Évidemment. Mais bon, faut bien un nonos pour la droite.
T'es vraiment kon François, fallait créer une SCI.
Re: L'exception française de trop
Vous êtes pénibles.
Le Conseil constitutionnel français a donc une grande autorité sur l'ensemble des institutions françaises, mais cette autorité est limitée au champ du contrôle de constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel français a donc une grande autorité sur l'ensemble des institutions françaises, mais cette autorité est limitée au champ du contrôle de constitutionnalité.
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Re: L'exception française de trop
Non actuellement. Debré fait faire le boulot au CC, et la gauche s'en est bien servi sous Sarkozy.politicien a écrit :Vous pensez que le conseil constitutionnel est trop "politisé" ?
Ce qui m'inquiète, c'est que Badinter qui est un pervers parmi les pervers en politique est enn service commandé. Il me semble qu'Hollande nous prépare un coup pour mettre le CC à sa botte.
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Re: L'exception française de trop
Disons qu'il est assez curieux que siègent au CC des présidents qui se sont faits retoqué des lois par dizaines.
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