Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

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johanono
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par johanono » 22 août 2014, 23:51:53

Un rappel historique s'impose.

Sous les IIIe et IVe Républiques, il y eut beaucoup de dérives. La Chambre des Députés (sous la IIIe République) et l'Assemblée nationale (sous la IVe République) furent prises d'une frénésie législative, se permettant de légiférer sur un peu tout et n'importe quoi.

En réaction à ces dérives, les rédacteurs de la Constitution de la Ve République décidèrent de délimiter précisément ce qui devait relever du pouvoir législatif (c'est-à-dire le parlement, à travers les lois), le reste relevant du pouvoir exécutif (c'est-à-dire le gouvernement, à travers les décrets et les arrêtés). Le Conseil constitutionnel fut créé pour faire respecter cette délimitation. Dans l'esprit des rédacteurs de la Constitution de la Ve République, le Conseil constitutionnel devait donc annuler les lois votées en empiétant sur le domaine de compétence du pouvoir exécutif. L'autorité du Conseil constitutionnel était donc relativement limitée, bien moindre que, par exemple, la Cour Suprême américaine.

Au cours des premières années suivant l'instauration de la Ve République, le Conseil constitutionnel se cantonna à cette fonction consistant à faire respecter le domaine de compétence du pouvoir exécutif face au pouvoir législatif. Or en 1971, il rendit une décision dite "Liberté d'association" qui marqua un tournant fondamental. Il déclara en effet que le préambule de la Constitution de la Ve République a une valeur constitutionnelle, au même titre que le reste de la constitution. Jusqu'à présent, personne n'avait vraiment attention à ce préambule qui se contentait d'énoncer quelques pétitions de principe. Il se trouve que ce préambule fait notamment référence à des principes généraux contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Si ce préambule a une valeur constitutionnelle, ça veut dire que ces deux textes auxquels il fait référence (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946) ont eux aussi une valeur constitutionnelle. En conséquence de quoi le Conseil constitutionnel peut désormais annuler des lois au motif qu'elles seraient contraires aux principes énoncées dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. De fait, le Conseil constitutionnel n'est plus un simple répartiteur des pouvoirs législatif et exécutif, il se pose désormais en gardien de principes fondamentaux, et il se permet désormais d'annuler des lois qu'il estime contraires à ces principes.

Cette innovation peut sembler positive. Sauf que les principes que le Conseil constitutionnel s'est chargé de défendre sont généralement assez généraux et subjectifs. Le Conseil constitutionnel en a parfois une conception très particulière.

Fredo a évoqué la question fiscale. Reprenons cet exemple, qui illustre assez bien les dérives du Conseil constitutionnel. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit en effet que : "Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés." Le Conseil constitutionnel a dit que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a désormais une valeur constitutionnelle, il se permet donc de sanctionner les lois qu'il juge contraires à ce texte, et il veille notamment au respect du principe d'égalité devant l'impôt issu de l'article 13 de ce texte. Il est désormais très fréquent que le Conseil constitutionnel annule des lois dont il estime qu'elles violent le principe d'égalité devant l'impôt. Mais qu'est-ce que l'égalité devant l'impôt ? A ce titre, le Conseil constitutionnel avait jadis annulé la modulation de CSG mise en oeuvre par le gouvernement Jospin. Récemment, il vient d'annuler la modulation de cotisations sociales. Il y a quelques années, il avait dit que le principe d'égalité devant l'impôt implique un impôt sur le revenu progressif, ce qui ne va quand même pas de soi...

La composition du Conseil constitutionnel est donc un faux problème. Le vrai problème se trouve dans le préambule de notre constitution...

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albert
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par albert » 23 août 2014, 07:43:05

johanono » 22 Aoû 2014, 23:51 a écrit :Il y a quelques années, il avait dit que le principe d'égalité devant l'impôt implique un impôt sur le revenu progressif, ce qui ne va quand même pas de soi...

La composition du Conseil constitutionnel est donc un faux problème. Le vrai problème se trouve dans le préambule de notre constitution...
Mais la France ne va pas renier la déclaration des droits de l'homme ni tourner le dos au principe de l'égalité devant l'impôt.
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Ramdams
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par Ramdams » 23 août 2014, 08:54:58

Cela dit, si le Conseil Constitutionnel est si souvent saisi, c'est parce que les parlementaires rédigent de plus en plus mal leurs articles.
albert » 23 Aoû 2014, 06:43:05 a écrit :Mais la France ne va pas renier la déclaration des droits de l'homme ni tourner le dos au principe de l'égalité devant l'impôt.
Parce qu'en ne faisant que l’énoncer dans le préambule, l'égalité devant l'impôt est de fait effective ? Tout dépend effectivement de la conception que l'on en a. Les libéraux considéreront que l'égalité devant l'impôt est remplie grâce à un taux unique (même taux pour tous, égalité pour tous), la gauche estimera quant à elle que l'égalité est remplie par la progressivité. Chacun y va de sa propre interprétation.

Ainsi, moins un préambule en dit, mieux c'est. Sinon, on arrive à ce genre d'abus, avec un Conseil Constitutionnel qui use à son avantage et à sa convenance des principes généraux souvent très vagues.

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albert
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par albert » 23 août 2014, 09:15:56

Ramdams » 23 Aoû 2014, 08:54 a écrit :Cela dit, si le Conseil Constitutionnel est si souvent saisi, c'est parce que les parlementaires rédigent de plus en plus mal leurs articles.
Non, c'est parce que l'on a multiplié les possibilités de saisine. A partir du moment où il est facile de saisir le CC, il y a forcément une multiplication des contestations.
Ramdams » 23 Aoû 2014, 08:54 a écrit :Parce qu'en ne faisant que l’énoncer dans le préambule, l'égalité devant l'impôt est de fait effective ? Tout dépend effectivement de la conception que l'on en a. Les libéraux considéreront que l'égalité devant l'impôt est remplie grâce à un taux unique (même taux pour tous, égalité pour tous), la gauche estimera quant à elle que l'égalité est remplie par la progressivité. Chacun y va de sa propre interprétation.

Ainsi, moins un préambule en dit, mieux c'est. Sinon, on arrive à ce genre d'abus, avec un Conseil Constitutionnel qui use à son avantage et à sa convenance des principes généraux souvent très vagues.
La progressivité de l'impôt n'est pas exclusivement défendue par la gauche, elle fait l'objet d'un large consensus. Le CC n'est pas de gauche ! Il y a bien sûr quelques ultra-libéraux qui la contestent, mais c'est marginal. Si vous sortez la déclaration des droits de l'homme de la constitution, ça veut dire que vous la reniez, et ce serait un comble de la part de la France qui est à l'origine de cette déclaration et qui en a fait son image de marque sur le plan international. Et puis de toute façon, avec l'UE, il y a maintenant la charte des droits fondamentaux qui s'impose également à la France.
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Ramdams
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par Ramdams » 23 août 2014, 09:30:31

À aucun des pays européens membres de l'UE et qui ont adopté une flat tax (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Estonie, Lituanie, Lettonie et la Grèce étudie cette possibilité), on ne leur a rétorqué que cette mesure était contraire au principe d'égalité devant l'impôt.

Et puis, ce n'est pas parce qu'il en a toujours été ainsi qu'il s'agit de l'unique et meilleure solution. Par exemple, la Constitution consacre également le principe d'indivisibilité de son territoire, ce qui rend impossible l'établissement d'un État fédéral en France. En vertu de quoi ? De la tradition jacobine française qui fait consensus chez les parlementaires de l'UMPS ?

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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par albert » 23 août 2014, 09:41:11

Ramdams » 23 Aoû 2014, 09:30 a écrit :À aucun des pays européens membres de l'UE et qui ont adopté une flat tax (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Estonie, Lituanie, Lettonie et la Grèce étudie cette possibilité), on ne leur a rétorqué que cette mesure était contraire au principe d'égalité devant l'impôt.
La question de la compatibilité des lois avec les principes du droit ne se limite pas à l'égalité devant l'impôt. C'est juste un exemple parmi d'autres. En ce qui me concerne, sur ce point précis, j'approuve la position du CC.
Ramdams » 23 Aoû 2014, 09:30 a écrit : Et puis, ce n'est pas parce qu'il en a toujours été ainsi qu'il s'agit de l'unique et meilleure solution. Par exemple, la Constitution consacre également le principe d'indivisibilité de son territoire, ce qui rend impossible l'établissement d'un État fédéral en France. En vertu de quoi ? De la tradition jacobine française qui fait consensus chez les parlementaires de l'UMPS ?
Non, l'indivisibilité du territoire n'interdit pas des mesures de type fédéral comme l'augmentation du budget européen ou l'harmonisation de la fiscalité et des systèmes sociaux. Chaque état de la fédération conserverait son territoire indivisible. De toute façon, si l'on devait en venir à une UE fédérale, il faudrait faire des référendums, dans le cas contraire ce serait un déni de démocratie.
Modifié en dernier par albert le 23 août 2014, 09:44:35, modifié 1 fois.
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par Ramdams » 23 août 2014, 09:42:50

Je ne parlais pas d'UE fédérale (à laquelle je m'oppose fermement) mais de fédéralisme interne, une France divisée en États fédérés. La Constitution actuelle empêche cette organisation du territoire.

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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par albert » 23 août 2014, 09:46:22

Ramdams » 23 Aoû 2014, 09:42 a écrit :Je ne parlais pas d'UE fédérale (à laquelle je m'oppose fermement) mais de fédéralisme interne, une France divisée en États fédérés. La Constitution actuelle empêche cette organisation du territoire.
Rien n'interdit de modifier la constitution sur ce point, mais à mon sens il faudrait faire un référendum. Sinon, ce serait également un déni de démocratie.
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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par Lucas » 23 août 2014, 21:09:43

Pour ma part il me parait normal que le préambule de la Constitution de la Ve République a une valeur constitutionnel, et effectivement l'égalité devant l'impôt est dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen...

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Re: Le Conseil Constitutionnel en fait-il trop ?

Message non lu par johanono » 14 nov. 2014, 18:46:16

Voici une nouvelle décision très discutable du Conseil constitutionnel.

http://www.conseil-constitutionnel.fr/c ... 42478.html

Le Conseil constitutionnel était saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation. A l'origine de la procédure, on retrouve, notamment, Bernard Tapie, qui cherchait à faire annuler certaines gardes à vue dont il a été l'objet lors d'une des enquêtes le concernant.

La question portait sur la durée maximale possible de la garde à vue pour certaines infractions. Généralement, cette durée maximale est de 48 heures, toutefois, l'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale prévoit une liste d'infractions pour lesquelles la garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures. Et parmi ces infractions, on trouve notamment l'escroquerie en bande organisée. Il était donc demandé au Conseil constitutionnel si une garde à vue de 96 heures pour l'escroquerie en bande organisée est contraire (ou non), à la constitution.

Et bien le Conseil constitutionnel déclare que 96 heures pour une garde à vue en matière d'escroquerie en bande organisée, c'est contraire à la constitution !
13. Considérant que l'escroquerie est un délit contre les biens défini par l'article 313-1 du code pénal comme « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » ; que, même lorsqu'il est commis en bande organisée, le délit d'escroquerie n'est pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; qu'en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article 706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ce délit, le législateur a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, le 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale méconnaît ces exigences constitutionnelles et doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Et pourquoi donc ? Le Conseil constitutionnel décrète de son propre chef que comme l'escroquerie est une infraction qui ne porte pas atteinte à la sécurité des personnes, une garde à vue de 96 heures ne serait pas proportionnée au but poursuivi ! Et c'est tout !

En gros, la garde à vue de 96 heures en matière d'escroquerie en bande organisée est contraire à la constitution, parce que le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi, et puis c'est tout, on n'en saura pas plus ! Bernard Tapie et ses collègues du monde des affaires peuvent se frotter les mains. :evil:

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