Le vainqueur a toujours raison
Ce sera donc lui. Cadel Evans va remporter à 34 ans son premier Tour de France. La gloire pour lui et l'Australie, qui vit là une grande première. C'est le triomphe du travail, de la régularité. De l'intelligence, aussi. Non, il n'est pas le roi de l'envolée montagnarde. Mais il a fait exactement ce qu'il devait faire pour gagner ce Tour. Et le vainqueur a toujours raison. Cela suffit-il à en faire un "grand" vainqueur? A chacun de se faire son idée. En tout cas, il gagne un grand Tour.
CE QU'IL RESTERA: Jusqu'ici, en dehors du continent européen, seuls les Etats-Unis avaient contribué au palmarès du Tour de France. Grâce à Cadel Evans, l'Australie élargit l'internationalisation du cyclisme. Tout un symbole: il y a tout juste 30 ans, son compatriote Phil Anderson devenait le premier non-européen à porter le maillot jaune. L'exploit d'Evans est évidemment d'une autre portée. C'est la consécration d'une carrière. La victoire de la régularité. Dans le compromis rouleur-grimpeur, il n'y avait pas mieux qu'Evans sur ce Tour. Deuxième du chrono samedi, vainqueur à Mûr-de-Bretagne, deuxième au Mont des Alouettes, troisième au Galibier, il a toujours été dans les quatre premiers du général (et même 19 fois sur 20 dans le Top 3). Il a évité tous les pièges, toutes les chutes, n'a commis aucune faute.
Alors, oui, il n'est pas le vainqueur le plus "sexy" de l'histoire, et il ne faut pas compter sur lui pour apporter le souffle épique qui fait la légende de cette épreuve. Contrairement à ce qu'une idée reçue prétend, l'histoire ne retient pas que les vainqueurs. Les battus laissent parfois une empreinte émotionnelle plus forte et ce sera peut-être le cas cette année, car Andy Schleck, ne l'oublions pas, a offert LE grand moment de ce Tour avec son envolée victorieuse vers le Galibier. En revanche, le vainqueur a toujours raison. Et pour Evans, qui désirait tant quitter son éternel costume de poissard sur la Grande Boucle, qu'il doit être bon d'avoir raison aujourd'hui. Ah, au fait, Tony Martin a remporté ce chrono. Une première pour lui sur le Tour mais, évidemment, ce n'est pas ce qu'il restera de cette journée.
CE QU'ON A AIME: L'émotion simple et sincère de Cadel Evans sur le podium. Toujours posé, toujours disponible, Cadel est une crème. Humainement, personne ne peut être déçu de le voir sacré aujourd'hui. Il n'est pas nécessaire d'en faire des kilos pour être émouvant. Sportivement parlant, la belle surprise du jour, comme du Tour, c'est la performance d'ensemble des Français. Thomas Voeckler a sorti le chrono de sa vie (13e) pour conserver sa quatrième place, menacée par Contador. Il y aura deux Tricolores dans le Top 10, puisque Jean-Christophe Péraud (6e samedi) a pris la 10e place du général, au détriment de... Pierre Rolland, mais ce dernier conserve le maillot blanc, le premier pour la France depuis 12 ans. Jeannesson et Coppel sont aussi dans le Top 15 de ce Tour. Après des années de disette (y compris l'an dernier, car les six victoires masquaient une misère collective au général), c'est vraiment le Tour de l'espoir pour le cyclisme français.
CE QUI NOUS A DECUS: L'absence de suspense. Ce Tour a été si passionnant, poignant parfois même, que j'avais rêvé d'un final en apothéose lors du chrono de Grenoble. Un match au couteau, où le maillot jaune se jouerait à une poignée de secondes entre Andy Schleck et Cadel Evans. Peu importe le vainqueur. J'avais même envisagé un Tour à moins de huit secondes, plus fort que LeMond et Fignon. Mais en 10 kilomètres, Evans avait déjà repris 20 secondes. C'était plié. Il n'a même pas fallu attendre la mi-parcours pour que l'Australien comble son retard de 57 secondes. Le match a tourné court trop vite. C'est un regret, mais Cadel était trop fort.
L'autre déception du jour, pour moi, tient à la réaction d'Andy Schleck. Quel contraste avec son frère, Frank, en larmes au moment de monter dans le bus Leopard-Trek. Même pas triste, Andy, qu'il nous a dit. Content de son Tour. De sa performance. De son résultat. Mais enfin, bon sang, Andy, tu viens de faire deuxième du Tour pour la troisième année de suite. Personne n'avait jamais vécu ça. Pas même Poulidor, Zoetemelk ou Ullrich. Pas même Cadel. Tu devrais avoir envie de tout balancer, de tout casser. Mais ainsi va Andy. Vainqueur ou vaincu, il n'en fait pas un drame. C'est sans doute, d'une certaine manière, une grande qualité. Mais cela traduit, aussi, le fait que le cadet des Schleck ne possède pas cette obsession de la victoire ancrée en lui.
ET MAINTENANT? Pour tous, l'arrivée à Paris représente une délivrance et une fête. Mais elle sera plus gaie pour certains que pour d'autres. Suivez mon regard vers le Luxembourg... Il restera deux enjeux dimanche sur les Champs: la victoire d'étape et le maillot vert. Deux objectifs et un seul nom sur toutes les lèvres: Mark Cavendish. Le sprinter de l'ile de Mann compte 15 points d'avance sur Jose Joaquin Rojas au classement par points. Il en reste 65 points en jeu, entre le sprint intermédiaire et l'arrivée. Cavendish est donc idéalement placé pour décrocher son premier maillot vert. Mais il visera aussi une cinquième victoire sur cette édition 2011, ce qui porterait à 20 son total de succès sur le Tour. En seulement quatre participations. Après la victoire de Martin samedi, ce serait un sacré dernier week-end pour l'équipe HTC. Allez, soyez tous prêts pour la fête, même si un Tour qui se termine, c'est toujours un petit coup de blues assuré...
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