S’aventurer dans les profondeurs d’une grotte, y faire reculer l’obscurité, une torche à la main. Trouver une vaste salle hérissée de stalagmites. Les briser par centaines. Les assembler pour ériger de petits enclos circulaires, tout en gardant vivante la lueur vacillante du feu — pour retrouver le chemin du retour à l’air libre. « Il y a quelques années, dit Jacques Jaubert, professeur de préhistoire à l’université de Bordeaux, je n’aurais jamais cru que l’homme de Néandertal, que j’étudie depuis trente ans, en soit capable. » C’est pourtant bien ce qu’il décrit dans un article signé par une équipe internationale et publié dans la revue Nature jeudi 26 mai : il y a 176 500 ans, l’homme de Néandertal a construit d’énigmatiques structures à plus de 300 mètres de l’entrée de la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Il s’agit de la plus ancienne construction jamais découverte aussi loin de la lumière du jour.
La surprise de ce spécialiste témoigne de l’extrême rareté des vestiges laissés par Homo neanderthalensis sur le continent européen, qu’il a pourtant occupé entre - 400 000 ans et - 40 000 ans, jusqu’à l’arrivée d’Homo sapiens, qui le supplante rapidement. Cette stupéfaction rétrospective traduit aussi peut-être des préjugés, conscients ou non, dont ce cousin à la réputation de brute épaisse a longtemps fait l’objet. « La découverte de Bruniquel apporte une perception différente de Néandertal : 140 000 ans avant Homo sapiens à Chauvet, il s’était déjà approprié le monde souterrain, souligne Jacques Jaubert. Je suis impressionné et respectueux devant cette exploration primitive. »
Est-il si surprenant que cet homininé robuste n’ait pas eu peur du noir ? Ce gaillard, qui maîtrisait le feu, inhumait ses morts et se parait d’ocre, taillait aussi la pierre et affrontait les bêtes (ours, rennes, bisons, mammouths, etc.) et le climat féroces de son époque. Ce n’était pas un poltron. « Encore aujourd’hui, tous les peuples ne vont pas dans les mondes souterrains : ils sont parfois tabous, ignorés, ou effraient », rappelle Jacques Jaubert.
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« Les mêmes capacités cognitives que les hommes modernes »
« Je pense depuis longtemps que les Néandertaliens avaient les mêmes capacités cognitives que les hommes modernes contemporains, estime, lui aussi, le paléoanthropologue Bruno Maureille (CNRS Pacea Bordeaux). Mais avec Bruniquel, on a des données très solides pour l’affirmer. » Il s’interroge sur la fonction de ces structures, qui ne répondent apparemment pas à une « perspective matérielle ». « Il y a autre chose derrière… » Mais quoi ?
Au plus profond d’une grotte, ne faut-il pas chercher du côté du rituel ou du symbolique ? « Nous n’en savons rien. On peut aussi imaginer un groupe d’ados néandertaliens partis en exploration, comme le feraient ceux d’aujourd’hui, qui cassent des stalagmites et les assemblent. Et 176 500 ans plus tard, cela se retrouve dans Nature… Mais là encore, c’est pure spéculation », ajoute Wil Roebroeks. Pour lui aussi, la découverte de Bruniquel ne permet pas de dire que l’organisation des Néandertaliens était plus complexe qu’on ne le pensait : « Elle est intrigante, et souligne avant tout que leur culture matérielle, y compris leur “architecture’’, n’a tout simplement pas survécu en plein air. »
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http://www.lemonde.fr/archeologie/artic ... r=RSS-3208
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