L'article est intéressant. On y apprend que la perception négative du Moyen Âge a été construite de toutes pièces par les historiens, au premier duquel Jules Michelet au XIXe siècle, qui faisait davantage d'idéologie que d'histoire. Pourtant, son nom est encore aujourd'hui, malgré le recul que l'on a, auréolé de bons qualificatifs.L'Histoire : L'idée largement partagée, est que le Moyen Age est une époque sombre. N'est-ce pas un paradoxe de parler d'un « beau Moyen Age » ?
Jacques Le Goff : L'expression « beau Moyen Age » est très récente. Pendant longtemps, le Moyen Age a en effet été considéré comme une période sombre - en anglais, Moyen Age se disait d'ailleurs, jusqu'à une date récente, « Dark Ages » « âges sombres ».
Cette caractérisation négative commence sans doute avec les critiques faites à la scolastique*, dès le milieu du XIVe siècle, notamment par Pétrarque : elle semble une expression de décadence linguistique, culturelle et religieuse occultant la pureté de l'Antiquité classique et du christianisme originel. Elle se diffuse chez ceux qu'on va appeler les « humanistes » aux XVe et XVIe siècles. Elle se renforce avec les philosophes des Lumières au XVIIIe : ils reprochent au Moyen Age d'être un âge obscurantiste qui aurait empêché la raison de s'épanouir. Et puis le XVIIIe siècle n'aime pas l'art médiéval : c'est aussi de cette époque que date la diffusion de l'adjectif « gothique* » à partir de 1615, puis du substantif 1716, de « goth » c'est-à-dire « barbare »...
L'H. : Mais le XIXe siècle, lui, a aimé le Moyen Age. Pensons à Victor Hugo et à Notre-Dame de Paris...
J. L. G. : Oui, mais même cette redécouverte est ambivalente. Voyez le romantisme : d'un côté, il réhabilite le Moyen Age, une période de vie, de passions positives ; le gothique devient finalement à la mode, de même que le style troubadour*, la cathédrale* apparaît comme une sorte de personnage idéal. Cependant, le romantisme laisse subsister le caractère primitif du Moyen Age, et, cette fois-ci, dans un sens péjoratif.
Il faut aussi noter que les grands historiens qui, au XIXe siècle, se sont intéressés au Moyen Age, ont souvent varié dans leur approche. J'ai étudié ce qu'il en est du plus grand d'entre eux, Michelet : il passe d'une admiration presque béate à une condamnation très virulente1. Il écrit ainsi que c'est en son sein que s'accomplit « le grand mouvement progressif, intérieur, de l'âme nationale » et évoque « la pierre [qui] s'anime et se spiritualise sous l'ardente et sévère main de l'artiste » .
Mais, en rééditant son Histoire de France , de 1835 à 1845, l'historien noircit le tableau au fur et à mesure que s'affirme son anticléricanisme. Au point de parler de « l'aboiement du XIIIe siècle » : « La date la plus sinistre, la plus sombre de toute l'histoire est pour moi l'an 1200, le 93 de l'Église. » Autre reproche fait au XIIIe siècle, la scolastique : « Tout finit au XIIIe siècle ; le livre se ferme ; cette féconde effervescence, qui semblait intarissable, tarit tout à coup. »
Le Moyen Age a suscité un nouvel intérêt positif à la fin du XIXe et au XXe siècle, chez les symbolistes, qui valorisent l'art de cette époque : ce qui avait pu être porté à son détriment devient un avantage. Cette revalorisation de l'époque médiévale se prolonge chez les impressionnistes. La cathédrale fait à nouveau, me semble-t-il, l'objet d'un culte. Je pense en particulier aux tableaux de la façade de la cathédrale de Rouen peints par Monet, mais également au prélude de Debussy : La Cathédrale engloutie et au livre de Huysmans, La Cathédrale 1898.
Enfin, essentiellement depuis la Seconde Guerre mondiale, une très vive réaction s'est manifestée contre l'idée d'un sombre Moyen Age. Elle a été menée par Marc Bloch d'abord, puis par Georges Duby. Et je me permets de m'inscrire dans cette lignée.
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Rappelons pourtant que c'est sous le Moyen Âge qu'a été inventée l'outil le plus important de la pensée intellectuelle, à savoir le livre.
Quelle image vous renvoie le Moyen Âge ?