Il sonne, et nous voilà au garde-à-vous. Une dépendance qui révèle nos archaïsmes : nous sommes des animaux sociaux, submergés par des requêtes, dans le devoir absolu d’être connectés au monde.
Madame Figaro. - Vous commencez votre essai (1) par une confidence : vous recevez un e-mail envoyé à trois heures du matin, et vous y répondez. Sommes-nous tous devenus dépendants à notre portable ?
Maurizio Ferraris. - Je ne crois pas en l’aliénation par la technologie. Le portable n’a fait que révéler une profonde dépendance. Contrairement à ce que Rousseau prétendait, nous ne sommes pas nés libres. L’être humain est ontologiquement assujetti aux autres, tel le nouveau-né à ses parents. La seule différence, aujourd’hui, est notre servitude volontaire et permanente au smartphone, qui a fait exploser les catégories vie privée - vie publique, jour-nuit… C’est ce que je nomme « mobilisation générale ».
Et ce qui, d’après vous, nous mène à la militarisation. Pourquoi ce terme emprunté à l’armée ?
L’essence du militaire, avant d’être la transmission des armes, c’est la transmission des ordres. Nous ne sommes pas vraiment en guerre, mais nous sommes toujours au garde-à-vous, prêts à répondre à l’appel des armes. Il y a quelques années, quand on était à Londres, on pouvait s’esquiver et répondre : « Je te rappelle à mon retour. » Mais aujourd’hui, la raison économique n’est plus valable. Vous êtes sommé de répondre. Pour faire quoi ? Peu importe. Comme je l’ai écrit, la mobilisation précède la motivation. Comme les sociologues de la psychologie des foules nous l’ont appris, nous agissons d’abord, et ensuite nous trouvons des raisons à nos actes. Dans tous les cas, le portable nous prend à partie (« Toi, là, réponds ! »).
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Mais qui nous oblige à répondre ?
L’autre vous oblige à répondre, quel qu’il soit. L’appel du portable est très proche de l’éthique de Levinas. Pour le philosophe, l’origine de l’éthique n’est pas la loi — le diktat ou l’impératif catégorique kantien — mais le visage de l’autre. Le portable réalise ce que Levinas affirmait : le visage de l’autre nous interpelle et fait obligation. Ce faisant, nous prouvons que nous sommes des êtres sociaux et politiques. Ne pas répondre serait s’auto-exclure de la société… Un vrai acte d’insubordination.
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http://madame.lefigaro.fr/societe/comme ... 016-117476
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