Il était temps que l'on en parle en France.
Effets secondaires et efficacité des psychotropes: suicides en Suède liés aux antidépresseurs, antipsychotiques, tranquillisants et hypnotiques
Les études sur les effets indésirables et l’absence d’efficacité des antidépresseurs (voir plus bas) se succèdent et se ressemblent. L’un des risques majeurs mis en évidence, désormais reconnu et souligné en particulier par la pharmacovigilance anglo-saxonne, est le suicide.
Une enquête indépendante faite par Janne Larsson et publiée en octobre 2009 a analysé les suicides enregistrés en 2007 en Suède, selon les données du Socialstyrelsen (NBWH : National Board of Health and Welfare) et des six filiales régionales du Collège national de médecine légale. Ces données n’étant pas publiques, elles ont été obtenues sur demande, en vertu de la législation sur la liberté d’information. Elles sont détaillées, parce que la loi suédoise oblige les centres régionaux de santé à faire un rapport au NBHW dans chaque cas de suicide et de joindre le dossier médical. L’investigateur les a croisées avec les données obtenues par les autopsies.
En 2007, 1.126 suicides (sans compter les tentatives) ont été commis en Suède (325 femmes et 801 hommes). 1.109 (soit 98%) de ces cas ont fait l’objet d’une autopsie. 724 (soit 64%) des personnes décédées par suicide en 2007 avaient eu des traitements psychopharmacologiques dans l’année précédant leur acte (250 femmes (soit 77%) et 306 hommes (59%)).
Ci-après, le détail des résultats, quelques références et commentaires et le rappel des conclusions de mieux en mieux documentées sur l'efficacité très faible des antidépresseurs, si tant est qu'elle existe...
Résultats détaillés
Des antidépresseurs avaient été prescrits à 196 (60%) de ces 325 femmes et à 306 hommes (38%). Des hypnotiques ou tranquillisants ont été prescrits à 204 femmes (63%) et à 392 hommes (49%). 87 femmes (27%) ont eu des antipsychotiques / neuroleptiques, pour 114 hommes (14%). 21 femmes (6%) ont eu d’autres psychotropes, pour 27 hommes (3%). L’autopsie a retrouvé des traces de psychotropes dans 575 cas, ce qui prouve qu’ils étaient sous traitement au moment du suicide. 338 personnes avaient eu 4 médicaments différents dans l’année précédant leur suicide. 304 d’entre elles (soit 77%) avaient eu une combinaison d’antidépresseurs et/ou de neuroleptiques (antipsychotiques).
A noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les médicaments éventuellement prescrits dans les hôpitaux, mais uniquement ceux prescrits par la médecine libérale.
Un extrait du texte complet:
“The information shows that of the 1126 persons 717 (64%) got antidepressants and/or neuroleptics and/or hypnotics/tranquilizers.
128 (11%) got antidepressant and hypnotics/tranquilizers and neuroleptics within a year of the suicide. From the earlier tables it can be seen that 404 persons (36%) got antidepressants and hypnotics/tranquilizers, that 145 persons (13%) got antidepressant and neuroleptics (not counting what else they got).
A large percentage (especially of women) received treatment with psychiatric drugs that one might expect should alleviate mental problems and protect from the ultimate consequence – suicide.
The data from the National Board of Health and Welfare also show that many got more than one type of psychiatric drug. For the 325 women almost one fifth (18%) had filled prescriptions for at least three different classes of psychiatric drugs (antidepressants, neuroleptics, hypnotics/tranquilizers) and 56% had filled prescriptions for two or more, within a year of their suicide.”
Références complètes
Psychiatric drugs and suicide in 2007. A report based on data from the National Board of Health and Welfare. By Janne Larsson.
Commentaires
L'interprétation n'est pas aisée et certainement pas directe.
Le passage à l’acte est-il dû aux médicaments eux-mêmes, à l’échec du traitement, ou à l’état psychique ? Ou à tout cela à la fois ? Quoi qu’il en soit, aucun de ces cas n’a fait l’objet d’une notification d’effet indésirable aux autorités de pharmacovigilance. Ce qui est problématique, car les signalements servent à faire état d’un effet indésirable « susceptible d’être dû » à un médicament, et n’ont pas à prouver un lien de causalité. Mais sans signalements, impossible d’évaluer un médicament, d’actualiser les données fournies par els fabricants lors des procédures d’AMM (autorisation de mise sur le marché), de compléter les RCP et notices des psychotropes concernés. Cela confirme, si besoin était, l’état de sous-notification chronique des effets secondaires, risques et interactions des médicaments, avec un taux qui varie entre 1% et 5%, selon les auteurs.
Le rapport entre antidépresseurs et suicide / tentative de suicide / idéation suicidaire
Ce lien a été largement documenté, en particulier pour le début du traitement, qui induit une désinhibition favorisant le passage à l’acte. Ceci est particulièrement dangereux chez les enfants et adolescents, raison pour laquelle, aux Etats-Unis, la prescription d’antidépresseurs en ville a été interdite aux moins de 24 ans. Les RCT (résumés des caractéristiques du produit) et les notices, par ailleurs en libre accès, contrairement à la France, portent un « label noir » (blackbox warning) : niveau le plus élevé de mise en garde sur le risque suicidaire. Les mises en garde sont présentes aussi dans la description des antipsychotiques, et même dans les notices des antiépileptiques et autres médicaments.
Autour de 2.000 suicides liés au Prozac° (fluoxétine) ont été signalés à la pharmacovigilance états-unienne avant 1999. Quant à la France, le psychiatre Jean-Yves Pérol estime le nombre de suicides liés aux antidépresseurs à 3.000 à 4.000 par an (cité par Guy Hugnet, Antidépresseurs : mensonges sur ordonnance. Ed. Thierry Souccar 2010).
L’importance du risque suicidaire, qu’elle a souligné à plusieurs reprises, a amené la revue allemande indépendante Arznei-Telegramm a titrer « Antidépresseurs : des placebos potentiellement mortels ? » (a-t 2005 ; 36 :45). Rien ne permet d’affirmer que les antidépresseurs protègeraient des idées suicidaires ; au contraire, les essais bien menés montrent que les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, tels que Seropram°/Déroxat°, Seroplex°, Zoloft°, Prozac°…) déclenchent de telles idées – voire des passages à l’acte – chez des volontaires sains, ou les renforcent chez les personnes en souffrance psychique. Les tricycliques (tels que Laroxyl°/Elavil°) et les antidépresseurs inhibant aussi la recapture de la noradrénaline (ISRSN tels que Effexor°, Cymbalta°) ne sont pas moins risqués.
Le rapport bénéfice – risques semble défavorable au vu de l’efficacité très faible (si tant est qu’elle existe)
Lorsqu’on compare les résultats obtenus avec des ISRS sur l’échelle Hamilton (qui codifie les critères de dépression), le bénéfice apporté dépasse à peine l’effet placebo. Et même cet effet minime peut résulter de biais et de variables des essais en question. Malgré la pléthore d’études et une utilisation intensive pendant des décennies, on ne peut fonder scientifiquement ni l’utilité, ni l’efficacité, ni la sécurité d’emploi des antidépresseurs, déplore Arznei-Telegramm.
C’est un rappel succinct du fait que les études successives ont les mêmes résultats, confirmés par une méta-analyse de 2008 : les essais cliniques ne montrent qu’une supériorité faible des antidépresseurs par rapport au placebo.
Et lorsqu’on va au-delà du biais de publication, en prenant en compte les essais non publiés, occultés par les pharmas parce que défavorables, les bénéfices des antidépresseurs n’atteignent même plus le seuil d’une efficacité statistiquement significative. Selon la plupart des auteurs / études, les antidépresseurs n’ont d’effet que dans les dépressions graves. Et même cet effet "semble dû à une réponse au placebo plus faible chez des patients souffrant de dépressions graves, plutôt qu’à un impact plus fort des médicaments administrés".
Quelques références
- Arznei-Telegramm, mai 2005: Antidepressiva: Lebensgefährliche Plazebos? a-t 2005 ; 36 :45.
- Irving Kirsch et al., Initial Severity and Antidepressant Benefits: a Meta-analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration, 2008: PLoS Med 5(2): e45.
- Turner EH, Selective Publication of Antidepressant Trials and its Influence on apparent Efficacy, NEJM 2008 ; 358 : 252-60.
- Richard A. Hansen, Efficacy and Safety of Second Generation Antidepressants in the Treatment of Major Depressive Disorder. Ann Int Med, September 20, 2005 vol. 143 no. 6 415-426.[/list:u]
Sur la désinformation sur les antidépresseurs, entre autres par la non publication ou la manipulation de la recherche par les laboratoires pharma, voir l’excellent article d’Arznei-Telegramm de janvier 2010, que j’ai traduit récemment : « Biais, manipulation et falsification de la recherche médicale financée par l’industrie pharmaceutique ».
Pour d’autres informations et liens, voir les autres articles de Pharmacritique réunis sous les catégories
- « Dépression, antidépresseurs »
- « Effets secondaires, iatrogénie, erreurs médicales »
- « Conflits d’intérêts en psychiatrie, DSM »
- « Antipsychotiques »
- toutes les catégories portant sur la psychiatrie (dans la liste alphabétique à gauche de la page).[/list:u]
Urgences : une évaluation globale et un changement des pratiques irrationnelles de prescription
A quand une expertise, une évaluation globale du rapport bénéfice – risques, prenant en compte tous les effets indésirables et la très faible efficacité, pour qu’on puisse fonder un usage rationnel des antidépresseurs, antipsychotiques et autres psychotropes – comme de tous les médicaments ?
En attendant des données fiables et non biaisées, une recherche et une information médicales non déformées par les conflits d’intérêts et les influences, les médecins disposent déjà de suffisamment d’éléments les incitant à la plus grande prudence. Ce qui veut dire réserver la prescription des psychotropes aux cas sévères, où le bénéfice espéré, évalué au cas par cas, pourrait justifier les risques qu’ils font courir aux patients. Car rien ne justifie les pratiques irrationnelles de prescription, qui, en France, sont à 80% le fait de généralistes libéraux payés à l’acte, trop occupés à ne pas dépasser les 10 ou 15 minutes de consultation. Or 10 à 15 minutes ne suffisent même pas pour se mettre en confiance et commencer à raconter ce qui ne va pas (et encore faut-il s’en rendre compte…). Le rendement l’emporte sur la santé des patients. Et en France, les médecins ne sont pas responsables des conséquences. Le système de mauvaises pratiques qui profite à tout le monde – sauf aux patients – se reproduit ainsi sans obstacle digne de ce nom.
Seule l’information et l’éducation des usagers à la santé permettra de briser ce cercle vicieux.
Elena Pasca