9 experts font le bilan de l’année 2014 et partagent leur vision de la vape pour 2015
Nous avons demandé à neuf personnalités de la vape française ou francophone de faire un point sur l'année qui vient de s'écouler. En critiquant pour la plupart une situation politique encore inadaptée, ils nous livrent dans le même temps leurs espoirs et prédictions pour 2015. Un condensé de matière grise à partager sans modération.
Jean-François Etter
De nombreux professionnels de santé, qui appellent sans relâche à une réglementation plus stricte, ne comprennent pas qu'ils jouent le jeu de l'industrie du tabac.
jean-francois-etter
Professeur de santé publique et politologue – Institut de Santé Globale, Faculté de Médecine de l’Université de Genève / Administrateur du site Stop-tabac.ch
En 2015, l'industrie du tabac va renforcer son emprise sur le marché des vaporisateurs de nicotine ( = e-cigarettes, produit qui chauffent le tabac sans combustion, Voke, pyruvate, Ploom, etc.). Leur approche commerciale repose sur trois piliers (R & D, réglementation, marketing). Ils ne peuvent pas imaginer faire des affaires dans ce domaine sans utiliser leur influence pour obtenir une législation «amicale». Cela signifie qu’assis derrière des portes closes avec des hauts fonctionnaires et des députés, ils vont ensemble construire un mur de règlements et de lois autour de ces produits.
Quand ce mur sera construit, les petits distributeurs et fabricants (notamment chinois) seront éliminés de ce marché, car ils ne pourront pas payer les équipes d’avocats et de scientifiques et les frais de R&D nécessaires pour entrer dans ce marché et franchir ce mur de réglementations (le ticket d’entrée est susceptible de coûter des dizaines de millions de dollars pour les études et les autorisations de la FDA, etc.).
Le pire, c’est que l'industrie du tabac est aidée dans cet effort par de nombreux professionnels de la santé, qui appellent sans relâche à une réglementation plus stricte, ne comprenant pas qu'ils jouent le jeu de l'industrie du tabac. Dans quelques années, les petits joueurs seront éliminés et l’industrie du tabac contrôlera ce marché.
Cette industrie sera alors en mesure d'étouffer ce marché, si elle estime qu’il est moins rentable que le marché des cigarettes. En effet, ce marché pourrait être moins rentable si les vapoteurs n’utilisaient ces produits que durant quelques mois ou années, contre des décennies d’utilisation de la cigarette par les fumeurs.
Antoine Flahault
Les pourfendeurs de la cigarette électronique aujourd’hui, porteront une grande responsabilité demain.
Docteur en médecine et épidémiologiste Professeur de santé publique Directeur de l’Institut de Santé Globale, Faculté de Médecine de l’Université de Genève Co-Directeur du Centre Virchow-Villermé, Faculté de Médecine de l’Université Descartes, Sorbonne Paris Cité Fondateur de l’école de santé publique de Rennes
Docteur en médecine et épidémiologiste / Professeur de santé publique
Directeur de l’Institut de Santé Globale, Faculté de Médecine de l’Université de Genève / Co-Directeur du Centre Virchow-Villermé – Faculté de Médecine de l’Université Descartes, Sorbonne Paris Cité / Fondateur de l’école de santé publique de Rennes
La France n’est certes pas le pays le plus fermé à l’égard des cigarettes électroniques, la Suisse par exemple, y interdit encore la vente de liquides contenant de la nicotine, autant dire qu’elle rend ainsi bien difficile l’usage des cigarettes électroniques (au grand bonheur des revendeurs de l’autre côté de la frontière, et de cigarettiers multinationaux qui ont établi leur siège dans la Confédération).
Les gouvernants français, sur l’ensemble du spectre politique d’ailleurs, demeurent cependant particulièrement timorés à l’égard de la cigarette électronique. Au Royaume-Uni par exemple, il existe des initiatives pour fournir gratuitement des cigarettes électroniques dans les prisons, car on sait que le tabac y fait des ravages et que l’on y voit une option – en cours d’évaluation d’ailleurs – pour y remédier.
Partout dans le monde, on voit que la communauté médicale et scientifique accuse avec retard, et une extrême précaution, le formidable engouement pour la cigarette électronique qui tend à rendre obsolète la cigarette classique. En fait, l’objet est plébiscité par les fumeurs, pour la première fois de l’histoire moderne du tabac. Alors que tous les procédés de substitution de la nicotine (patchs et autres gommes) n’avaient jamais suscité jusque là ni enthousiasme ni mouvement populaire, on assiste pour la cigarette électronique à un activisme des utilisateurs qui rappelle celui de l’époque héroïque du SIDA.
Dans un certain sens le fumeur, comme le malade infecté par le VIH de la fin des années 80, est stigmatisé, vilipendé par toutes sortes de moralisateurs, à un certain degré comme l’obèse aujourd’hui. Tant que les fumeurs ne disposaient pas d’alternative véritable (et les patches nicotiniques n’en étaient visiblement pas), ils se serraient les coudes, aux portes de leurs entreprises, en brûlant leurs cigarettes sous le feu des regards culpabilisants de leurs collègues. Mais désormais, ils ont découvert un dispositif qui leur procure du plaisir, leur conserve leur habitude sociale qu’ils appréciaient, et comble aussi probablement le manque lié à leur accoutumance à la nicotine.
Aucun politique, et bien peu de scientifiques ou de médecins sont – curieusement – au rendez-vous de cette histoire pour les soutenir, pour les applaudir, pour favoriser ce mouvement. Un peu comme à l’époque du SIDA, bien peu de représentants de la société « convenable » sortent du bois pour encourager ce qui pourrait permettre, en ce début du XXIème siècle, d’éviter en partie l’hécatombe, estimée à un milliard de décès, que causera le tabac fumé dans le siècle, alors que l’on n’a pas enregistré la moindre victime de la cigarette électronique depuis son utilisation, et que l’on ne peut pas s’attendre raisonnablement à en attendre plus qu’une petite poignée, si seulement il devait y en avoir.
Ceux qui ralentissent l’essor de la cigarette électronique font bien sûr l’affaire des grands cigarettiers qui n’ont pas vu venir le vent et qui enregistrent aujourd’hui d’importantes diminutions de consommation de cigarettes largement imputables à l’essor de la cigarette électronique. Les pourfendeurs de la cigarette électronique aujourd’hui porteront une grande responsabilité demain, lorsque par leur faute, on déplorera les nombreuses victimes attendues de la consommation de cigarette, que l’on aurait pu éviter par la substitution au moins partielle voire totale par la cigarette électronique.
Robert Molimard
Cet essor de la cigarette électronique menace à la fois les produits du tabac et les médicaments dits “de sevrage”.
Professeur honoraire à la Faculté de Médecine Paris-Sud Fondateur du DIU de Tabacologie Paris11-Paris 12 Ex-Président Fondateur de la Société de Tabacologie Directeur du Centre de Tabacologie Paul GUIRAUD - VILLEJUIF Responsable de la rubrique "Altertabacologie" du site formindep.org
Professeur honoraire à la Faculté de Médecine Paris-Sud / Fondateur du DIU de Tabacologie Paris11-Paris 12 / Ex-Président Fondateur de la Société de Tabacologie / Directeur du Centre de Tabacologie Paul Guiraud – Villejuif / Responsable de la rubrique “Altertabacologie” du site formindep.org
L'usage de l'e-cigarette n'est plus comme je l'ai cru un temps une simple mode, un engouement passager. Car il se développe rapidement par le simple bouche à oreille, sans autre publicité que celle que lui font ses adversaires, en dépit de leurs mises en garde et des interdictions croissantes, au nom d'un principe de précaution qui ignore l'adage “de deux maux il faut choisir le moindre”. Encore faudrait-il raison garder, en ne mettant pas en exergue des accidents exceptionnels évitables et des risques plus hypothétiques que réels. (
http://www.formindep.org/Avec-la-cigare ... e-est.html).
Comme pour tout produit, un contrôle de qualité est nécessaire, tant du matériel que des liquides. Certes nous manquons de données sur les effets toxiques à long terme, en particuliers au vu de l'offre florissante des arômes, dont l'innocuité par inhalation n'est pas toujours absolument certaine. Cela nécessite la mise en place d'une structure de vigilance pour collecter les éventuels incidents. Mais tant qu'ils n'auront pas justifié de mesures restrictives, je souhaiterais qu'aucun obstacle artificiel ne soit élevé contre l'usage d'un produit finalement incomparablement moins dangereux que le tabac. Même si son effet favorable à l'arrêt du tabac devait se montrer finalement modéré, se priver d'un tel outil serait inconséquent. Cela me semblerait plutôt traduire des conflits d'intérêts que l'intérêt pour la santé.
Cet essor de la cigarette électronique menace à la fois les produits du tabac et les médicaments dits “de sevrage”. C'est une bataille de géants pour conquérir ce marché. L'industrie du tabac l'attaque directement. L'industrie pharmaceutique voudrait en faire un médicament. Il serait alors exclu des règles restrictives de composition en nicotine que ses lobbies cherchent à faire adopter pour les ventes hors pharmacies. Je pense que ce but est contraire à une lutte efficace contre le tabagisme.
De plus, je crois que c'est un combat d'arrière-garde. Car le rôle de la nicotine dans le maintien de la dépendance au tabac ne me parait pas essentiel. Je doute donc que de faibles teneurs en nicotine diminuent réellement l'intérêt pour l'e-cigarette. (
http://www.formindep.org/Le-mythe-de-l- ... -a-la.html).
Une répression féroce du vapotage en tous lieux, des actions contre les vendeurs n'aboutiront vraisemblablement comme toujours qu'à stimuler des trafics illégaux. Si nous n'en arrivons pas là, ce que je souhaite, je prévois que la diffusion de l'e-cigarette augmentera encore, bénéficiant d'améliorations techniques et d'une sécurité affirmée, et que des études scientifiques correctes plus nombreuses confirmeront ce que l'on peut raisonnablement en espérer dans la lutte contre le tabagisme.
Je déclare n'avoir de lien d'intérêt, ni avec les industries du tabac ou pharmaceutique, ni avec les fabricants ou vendeurs de cigarettes électroniques.
(...)
L'histoire jugera.
J'espère pour 2015 que la communauté des vapers, des vapoteurs, bref des anciens fumeurs, sera plus unie et politiquement active. J'espère que les créateurs de liquides vont nous sortir de nouvelles saveurs complexes pour vivre de nouvelles expériences gustatives comme cela a été le cas cette année et que 2015 sera aussi l'année où chaque fois que j'écris “Vape” sur mon téléphone, mon mail, mon ordi, le mot ne soit pas corrigé automatiquement en “Cape” !