Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

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Ramdams
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Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Ramdams » 23 févr. 2015, 15:48:03

Ceux qui me connaissent un peu savent que j'ai un profond mépris pour le jacobinisme, la centralisation à tout-va de la France, tellement ancrés dans l'esprit des politiciens français qu'il semble impossible de penser la France sans Paris (j'englobe l'Ile-de-France à travers ce terme). Je relaye donc un article de Libération de 2013 sur le sujet :
Le Grand Paris et le «désert français»

Il manquerait, paraît-il, 10 milliards d’euros au Grand Paris pour se réaliser. On l’a appris il n’y a pas longtemps. Ce n’était pas au Conseil de la capitale ni à celui de l’Ile-de-France mais à l’Assemblée nationale qu’on l’a su.

Certes, dans ce célèbre projet de Grand Paris, ce seront les collectivités locales qui auront beaucoup été à la manœuvre. Mais il aura fallu l’impulsion de différents gouvernements centraux et des députés de la nation. Un secrétaire d’Etat, Christian Blanc, aura même été nommé spécialement sur cette question.

La réforme de l’organisation du territoire de la région parisienne démontre une nouvelle fois une dialectique serrée et surtout privilégiée par rapport aux autres avec l’Etat central, qui lui accorde attentions et moyens. L’argent et la décision étatique au profit de l’Ile-de-France. Pas grand-chose de nouveau.

Une continuation en quelque sorte du vieux jacobinisme national, qui considère qu’il y a deux classes de citoyens à organiser : celle de Paris et celle du «désert français», selon l’expression d’un vieil ouvrage de Jean-François Gravier. Un pays dans lequel certaines professions, certains niveaux de responsabilités ne sont accessibles que dans une unique métropole du pays. Son coût s’établirait à quelque 30 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 50 % par rapport aux prévisions initiales (20,5 milliards d’euros). Essentiellement financés par l’Etat donc les impôts de l’ensemble des Français, quelle que soit leur situation géographique dans l’ensemble national. L’Ile-de-France, tel le monde imaginaire de Terry Pratchett, avance à un pas lent et lourd de pachyderme. Malgré la bonne volonté de chacun.

Ailleurs, dans d’autres territoires de la république, ce sont les acteurs locaux qui prennent en main leur destin, sans attendre forcément des feux verts étatiques, en devançant souvent la loi à venir, dans des territoires de tous bords politiques. (...)

Et la France pourrait ne plus être ce lieu sempiternel où Provinciaux et Parisiens s’invectivent et où il n’existe aucun salut pour nombre d’activités, une fois franchies les frontières d’Ile-de-France.

L'article de Libération en intégralité
Je trouve que le constat posé par ce maire-adjoint lyonnais juste. Je complète son propos : Paris est une ville primatiale, c'est-à-dire que la France dépend de cette ville, où se concentrent toutes les administrations, les structures économiques, culturelles, scientifiques... D'après un article de GéoConfluences, si on devait calculer un indice de primatie à la France, sur une échelle de 1 à 5, il serait de 5.
Or, dans les pays développés, il est plutôt de 3. Ce sont dans les États peu développés ou mal développés qu'il est de 5, où la richesse ne quitte pas les la capitale. Certains pays développés ont un indice élevé, en raison de la faiblesse de leur population, les conditions topologiques et/ou climatiques qui concentrent la population dans une seule et même ville (Islande et Reykjavik) mais c'est toujours indépendamment de leur volonté politique. En France, c'est clairement lié à une volonté politique de favoriser la région parisienne, héritée d'une tradition historique de monarchie absolue, puis de jacobinisme.

Comme le rappelle l'auteur de ce billet, il est vraiment étonnant que ce soit l'Assemblée qui tranche en faveur ou non d'un projet somme toute local, comme le Grand Paris ! Cela montre l'ampleur des moyens qui sont injectés dans la capitale si c'est la puissance étatique qui s'en charge.

Généralement, on considère également qu'une ville est primatiale quand sa population est supérieure à celle des deux villes suivantes réunies. Pourtant, rappelons que Paris ne concentre qu'1/5e de la population française. Les Parisiens sont en minorité numérique mais en large majorité quand on s'intéresse aux rapports de force entre la capitale et la province. Ailleurs en Europe, on peut trouver des villes ou des agglomérations qui rivalisent avec la capitale, pas toujours en termes de population mais souvent en termes économiques : Barcelone/Madrid, Rotterdam-La Haye/Amsterdam, Anvers-Gand/Bruxelles, Milan-Turin/Rome, Région de la Ruhr/Berlin...

Nombrilist rappelait à plusieurs reprises sur le forum que des pays se portent bien car ils sont petits... Si on va jusqu'au bout du raisonnement, pourquoi ne pourrait-on éclater la France en petits Etats ? Une Alsace indépendante, une Bretagne indépendante, un Pays basque indépendant, une Nice indépendante, une Corse indépendante... un Paris indépendant ! Bon, j'arrête de rêver. :oops:

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Nombrilist
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Nombrilist » 23 févr. 2015, 15:55:32

Tu le sais, je suis assez en désaccord avec toi sur cette question. Ce n'est pas le contribuable breton qui finance l'agriculture bretonne et ce n'est pas le contribuable picard qui finance le chômage picard. Et ce ne sont pas les 2 pelés et 3 tondus du limousin qui financent leurs lignes ferroviaires. On peut taper sur les franciliens. Toujours est-il qu'ils contribuent probablement plus qu'ils ne reçoivent. Tout ça pour dire que des petits Etats, ça donnerait un développement anarchique et des dépenses complètement absurdes voulues par une compétition exacerbée entre les territoires pour un gâteau bien trop petit.

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Ramdams
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Ramdams » 25 févr. 2015, 16:30:08

La plus grande erreur que l'on ait faite est quand même d'avoir fait de Paris le centre névralgique de toute activité, y compris dans le domaine ferroviaire. Le réseau organisé en étoile autour de Paris... quelle erreur... Paris n'était pas la ville primatiale par évidence, cela aurait très bien pu être Lyon par exemple.

Je ne nie pas que Paris contribue plus qu'elle ne reçoit mais on crée toutes les conditions pour rendre la province de plus en plus dépendante d'elle, mon sujet n'est donc pas motivé par de l'antiparisianisme. De toute façon, on voit bien qu'elle est aujourd'hui complètement saturée, la faute à un manque de volonté de développement régional.

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Narbonne
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Narbonne » 25 févr. 2015, 17:41:48

Le réseau ferré a été fait alors qu'il y avait encore un très fort régionalisme. La France "éternelle", c'est un mirage. C'est pour cela qu'il a été fait en étoile pour contrer cela. Les rois étaient basés à Paris et pas à Lyon.
Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait.

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johanono
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par johanono » 25 févr. 2015, 18:14:02

Ramdams » Mer 25 Fév 2015 - 17:30 a écrit :La plus grande erreur que l'on ait faite est quand même d'avoir fait de Paris le centre névralgique de toute activité, y compris dans le domaine ferroviaire. Le réseau organisé en étoile autour de Paris... quelle erreur... Paris n'était pas la ville primatiale par évidence, cela aurait très bien pu être Lyon par exemple.
Cette toute puissance politique et économique de Paris n'a pas été décidée du jour au lendemain. Elle est l'histoire même de notre pays. La France ne serait pas la France autrement. Sous l'Ancien Régime, à partir de la période capétienne, tous les rois de France qui se sont succédé, et qui étaient basés à Paris puis à Versailles, n'ont eu de cesse de faire la guerre pour annexer les régions alentour. C'est ainsi, par exemple, que la Bretagne a été annexée (en 1532).

A cette époque, l'état d'esprit qui dominait était celui d'un État tout puissant, qui s'est longtemps confondu avec le roi également tout puissant et de droit divin. Cet état d'esprit n'a pas vraiment disparu de nos jours, il contribue (je crois) à expliquer cette habitude d'attendre toujours tout de l’État.

Et la conséquence de tout ça, c'est un État fort et centralisé, et donc le potentiel économique également très concentré sur Paris.

Mais comme l'a souligné Nombrilist, si on compare les potentiels fiscaux des différentes régions de France, alors on s'aperçoit que ce sont bien les impôts des Franciliens qui contribuent le plus à financer les services publics non rentables et les transports dans d'autres régions moins peuplées et moins dynamiques.

Bien sûr, cette concentration économique et démographique à Paris engendre des effets pervers : pénurie de logement à Paris et dans quelques autres grandes villes, cependant que certaines campagnes se désertifient, réseau de transports difficile à gérer, etc.

Cependant, j'ai de grosses réserves sur la décentralisation. Pour moi, la décentralisation, c'est le retour à la féodalité et aux baronnies locales, c'est le primat des querelles de clocher et des intérêts locaux sur l'intérêt général. Je ne dis pas que l’État doit décider de tout. Je dis simplement qu'il faut être prudent avant de décentraliser encore certaines compétences de l’État.

Idéalement, il faudrait conserver une forme de centralisation (c'est-à-dire que le pouvoir de décision politique continue d'appartenir à l’État par le biais du gouvernement et des préfectures), tout en essayant de déconcentrer certains services, ou de favoriser l'économie de la province. Mais ce n'est pas facile.

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Ramdams
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Ramdams » 25 févr. 2015, 19:08:09

Ce n'est pas parce que l'organisation de la France autour de Paris se justifie historiquement qu'elle est de fait cohérente et efficace. Notre histoire est faite d'incohérences et d'erreurs. Le mot régionalisme est inévitablement connoté négativement en France, comme si, en fin de compte, les régions avaient une dette à payer aux Franciliens ; demander l'indépendance d'une région est vu comme une trahison. Entre-temps, de l'eau a coulé sous les ponts et on a sciemment développé Paris et l'Ile-de-France à un tel niveau pour qu'aucune région ne puisse se dispenser d'elles, on a donc créé une situation de dépendance artificielle. Si le pouvoir s'était établi à Lyon plutôt qu'à Paris, on aurait bâti un réseau autour de Lyon. Paris n'était pas plus prédisposée à devenir la capitale de la France, c'est là où je veux en venir, elle n'a même pas une position plus stratégique qu'une autre ville. Paris se développe toujours au détriment de la province et ce constat a été posé en 1947 par Jean-François Gravier, dont j'ai repris le nom d'un de ses ouvrages, Paris et le désert français.

Dans le débat sur la réforme territoriale, je trouvais la proposition de Jean-Christophe Fromantin, député-maire UDI de Neuilly-sur-Seine (pas vraiment ma tasse de thé donc) cohérente et intelligente. Elle consistait à organiser le territoire français en huit métropoles.

Image

Cela suppose d'accorder aux métropoles concernées des moyens politiques et financiers plus conséquents et de diminuer ceux du Grand Paris (Grand Paris qui constitue une erreur, une de plus). On ne pourra sortir de cette gabegie que le jour où les métropoles vivront pour elles-mêmes et n'auront plus les yeux tournés vers Paris. C'est facile à dire, j'en ai conscience mais je ne suis pas le seul à considérer que l'avenir de la France ne repose même pas sur du "consommer français" mais sur des réseaux bâtis sur des villes de province, sur du consommer local. Je me réjouis à ce propos de l'émergence de monnaies complémentaires locales qui vise cet objectif, à son échelle.

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Nombrilist
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Re: Paris et le désert français : quand la capitale empêche le pays de se développer

Message non lu par Nombrilist » 25 févr. 2015, 22:17:42

Mais est-ce que ces pôles n'existent pas déjà ? Tu pars du postulat (sans le démontrer) qu'on ne peut rien faire sans passer par Paris. Je n'en suis pas aussi sur que toi.

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