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Non ce n’est pas qu‘une théorie, c’est déjà une théorie
Car le principal problème de ce que je critiquais au départ à propos des oppositions à la science officielle c’est qu’elles ont généré un ensemble d’argumentaires tous fallacieux mais qui sont suffisamment simples pour être rapidement évangélisés. En effet, tous les détracteurs de la science officielle ne parlent pas comme les théoriciens du modèle relatif de la monnaie avec un vocable volontairement abscons…
Le premier argument qu’on entend c’est “la théorie de l’évolution n’est qu’une théorie, si on avait pu la prouver ça s’appellerait la loi de l’évolution”.
Une théorie scientifique, c’est pas un truc fragile et balancé à la va-vite, quoi qu’en dise l’abbé Frament.
Une théorie c’est tout d’abord un modèle qui s’appuie sur un raisonnement scientifique pour expliquer des faits et en prévoir d’autres. La phrase peut paraître un peu rapide et peu claire mais elle distingue vraiment le triptyque qui permet de créer une théorie :
- un modèle : c’est à dire un ensemble de règles qui ne s’applique que dans un cadre donné dont les limites sont clairement rapportées. Ainsi la théorie de l’évolution ne s’applique qu’à des populations d’individus qui peuvent se reproduire et qui sont dans un milieu qui applique sur eux une certaine pression qu’on qualifiera plus tard de sélective. Toute personne qui se pare de darwinisme pour expliquer la supériorité de son idéologie économique se place de base hors du modèle.
- un raisonnement scientifique : qui a d’ailleurs la particularité d’intervenir avant l’observation des faits afin d’éviter le biais de confirmation. Ce raisonnement se base sur ce qu’on sait déjà pour tirer des conclusions selon une dialectique hypothético-déductive : je regarde ce que je sais, j’en conclus ce que les modèles actuels me permettent de conclure et je pousse encore plus loin à chaque fois.
- Enfin, j’obtiens une explication des faits actuels, et des prédictions : qui sont énoncés de manière réfutable : c’est à dire qu’on va proposer une expérience (ou une grandeur à mesurer) qui permettra de conclure soit que la théorie est solide (pas forcément vraie, juste solide) soit qu’elle a atteint une limite et qu’elle a besoin d’un amendement soit qu’elle est fausse. C’est d’ailleurs pour ça que outre l’immense succès technique que représente la mesure des ondes gravitationnelles, ça fait un poil chier les scientifiques : entre avant (on n’avait pas mesuré les ondes) et maintenant (on les a mesurées et en plus ça colle parfaitement à la théorie) on n’a rien appris de plus puisque la théorie colle parfaitement aux faits, même pas un amendement possible.
A partir des ces trois points, qui sont assez importants, vous avez un modèle scientifique pour expliquer un ensemble de faits qu’ils soient physiques (relativité), biologique (évolution, génome, infectiologie) ou encore sociologiques (n’en déplaise à Sarkozy). Et là on n’a toujours pas une théorie, parce que maintenant, il va falloir passer l’étape de la publication, de la relecture par les pairs et de la réplication.
Souvenez-vous, je vous l’ai dit, tout modèle scientifique est exprimé de manière réfutable (autrement dit tout raisonnement irréfutable n’est pas scientifique, sorry) et maintenant, la communauté scientifique va tenter de réfuter le modèle.
Si à force de réplication, d’articles indépendants mais concordants et d’amendements on arrive à un modèle qui est accepté par la communauté scientifique, on appelle ça une théorie. Et là c’est du solide.
Et pourtant la théorie évoluera.
Il était une fois, une discipline qui évolue
Car voilà un autre type d’arguments qu’on nous sort à tout bout de champ pour montrer que la théorie de l’évolution (ou autres, les plus attaquées étant celles d’Einstein) est fausse : Darwin a dit ceci ou cela et il avait tort.
Bon, on passera l’exemple de l’œil qui est le cas typique de contresens car Darwin explique qu’il ne faut pas faire jouer sa théorie n’importe comment, notamment essayons d’éviter de la jouer en arrière car exprimer la sélection à rebours, c’est franchement foireux. L’exemple est donc plutôt un exemple que la théorie de Darwin fonctionne, mais ses contradicteurs ont retenu deux trois phrases qui les arrangeaient pour créer une hypothèse ad hoc : la complexité irréductible.
Je voulais simplement rappeler que depuis la formulation par Darwin et ses collègues, dont Wallace de la théorie de l’évolution, pleins de choses avaient été changées :
- Le mot espèce est aujourd’hui utilisé avec parcimonie, et en aucun cas confondu avec le mot race qui lui, a été abandonné.
- Le concept d’espèce transitionnelle a été totalement abandonné au profit de concepts qui font entrer une plus grande continuité dans l’évolution tout en plaçant des jalons “visibles” au fur et à mesure. Ce double concept est fortement appuyé par la phylogénétique.
- Une formulation bien plus complète et basé sur les découvertes contemporaine a été écrite au XXème siècle, nommée théorie synthétique de l’évolution.
- Et même cette théorie, qualifiée de néodarwiniste, a été enrichie et modifiée par des modèles tels que celui des équilibres ponctués.
Bref, se baser sur des faits anciens, aujourd’hui abandonnés, reformulés ou même prouvés pour argumenter, c’est pas la joie. Mais ça se comprend quand on sait que les grands textes religieux dits révélés n’ont pas bougé depuis des siècles.
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