Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

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artragis
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Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par artragis » 09 janv. 2021, 18:20:45

Pendant le mois de décembre 2020, de nombreux journaux[1] se sont fait l’écho d’une étrange querelle : l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) se plaint de la mise en ligne publique de la base de données environnementales Agribalyse, mise au point par l’ADEME et l’INRAE[2], et demande son retrait ! De quoi s’agit-il ?

Cette base de données publique recense les résultats des analyses d’impact environnemental de 3 000 produits agricoles, bruts ou prêts à la consommation. Elle sert de référence aux agriculteurs et aux restaurateurs qui souhaitent améliorer leur bilan environnemental, et doit servir de base au futur étiquetage environnemental de produits alimentaires. La raison du courroux de l’ITAB : les produits bio y seraient systématiquement défavorisés par rapport aux produits de l’agriculture intensive, en particulier à cause de la méthode de l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) utilisée pour mesurer leur impact environnemental. Les défenseurs du bio remettent ainsi en cause l’outil essentiel de mesure des impacts environnementaux des activités humaines, reconnu au niveau mondial, qui sert de base à tous les plans internationaux pour la lutte contre le changement climatique !

Dans la rubrique « Planète » du Monde, qui passe son temps à dénoncer des conflits d’intérêts réels ou fantasmés, il est assez surréaliste de voir ainsi relayée la plainte d’un organisme privé, dépendant à 100% de l’agriculture bio, qui demande le retrait de données publiques établies par les deux organismes de référence français pour les impacts environnementaux de l’agriculture. Mais il est clair depuis longtemps que la notion de conflit d’intérêts est très sélective dans la presse française. Cela ne doit pas nous empêcher d’étudier l’argumentation de l’ITAB, détaillé dans un dossier qui compte pas moins de 52 pages[3].
Un faux procès fait à l’Analyse de Cycle de Vie

En fait, quand on lit en détail ce document, on n’y trouve aucune véritable remise en cause scientifique de la méthode de l’ACV (encore heureux, puisqu’il faut rappeler une fois encore que c’est celle qui fait référence dans toutes les évaluations internationales sur l’environnement). L’ITAB lui fait deux reproches :

L’ACV ne suffit pas pour caractériser l’impact environnemental de l’agriculture. En particulier, elle ne prend pas en compte ses impacts sur la qualité des paysages et sur la biodiversité.
Même pour les impacts qu’elle prend en compte, elle serait biaisée par construction en faveur de l’agriculture intensive.

Examinons ces deux points :

Le premier point est partiellement vrai, mais tendancieux, en ce qui concerne la biodiversité : effectivement, l’ACV n’intègre pas de mesure d’impact réel sur la biodiversité, mais elle comprend tout de même un indicateur d’écotoxicité. Comme cet indicateur repose sur le classement toxicologique des produits, il s’agit d’un indicateur de danger et non de risque, il tend donc à surestimer l’impact réel des produits utilisés pour la production agricole. De toute façon, comme nous le verrons dans la suite, les résultats des études sur le land sharing et le land sparing suggèrent qu’une prise en compte des impacts mesurés sur la biodiversité serait plutôt défavorable au bio, quand on les mesure en fonction de la quantité produite. Pour l’impact sur le paysage, le reproche n’a aucun sens, comme nous le verrons là aussi dans la suite : le maintien ou la restauration d’espaces naturels favorables à la biodiversité est une problématique différente de celle des pratiques agricoles, qui ne peut donc pas être prise en compte dans une analyse des produits agricoles finaux. De plus, là encore, l’agriculture bio, par ses faibles rendements, complique la bonne gestion des paysages, au lieu de la favoriser.



Le second point relève du pur complotisme. D’après l’ITAB, « Les ACV reposent sur le paradigme du « land sparing » et «la méthodologie ACV, notamment en raison du paradigme de départ sur lequel elle s’appuie, favorise les systèmes intensifs». Nous reviendrons au paragraphe suivant sur ce qu’est le land sparing, et sur la vision totalement mensongère qu’en propage l’ITAB. Il suffit de dire pour l’instant que le land sparing se réfère simplement à un mode de gestion de la biodiversité agricole à l’échelle du paysage, et n’a donc aucun rapport avec les calculs d’impact faits par les ACV. En fait, si l’ACV gêne tant l’ITAB, c’est pour la raison qu’il avoue lui-même : «Une problématique majeure est celle liée au fait que les impacts ACV sont rapportés aux kilos produits » L’Institut ajoute immédiatement « et par conséquent, cela privilégie, par construction, les systèmes intensifs », ce qui est totalement faux : si l’agriculture bio est mal notée dans les ACV, c’est essentiellement parce qu’elle a un moins bon bilan énergétique que l’agriculture conventionnelle, ramené aux quantités produites. Or c’est bien le bilan par quantité d’aliment produite qu’il faut calculer pour avoir une vision de l’impact environnemental de notre consommation, et pas le bilan à l’hectare comme les partisans du bio ont longtemps essayé de l’imposer. Si on se ramène à la surface agricole, on compare les impacts environnementaux d’un hectare de culture conventionnelle à un hectare de culture bio qui nourrit 40 à 50% de personnes en moins, cela n’a aucun sens.

[...]
https://www.europeanscientist.com/fr/en ... et-linrae/

Pour information, le rapport de l'ademe qui est évoqué et qui est la cause de la guerre est ici : https://www.strategie.gouv.fr/sites/str ... 0131_0.pdf j'ai commencé à le lire, mais il est loooonnnnnng.
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Nombrilist
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Nombrilist » 09 janv. 2021, 18:29:16

Je suis surpris que le bilan énergétique soit en défaveur du bio, alors que le bio consiste justement à s'émanciper des engrais de synthèse dont la fabrication est très énergivore. Concernant les dangers, étant donné que la classification environnementale CLP est très légère, je ne vois pas bien comment l'ACV peut réellement prendre en compte les impacts sur la biodiversité (dans CLP et GHS, les dangers pour la vie terrestre ne sont pas pris en compte, les dangers pour la vie aquatique ne le sont que partiellement).

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les orteils
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par les orteils » 09 janv. 2021, 18:48:42

Il n'y a aucune raison de censurer l'information. Le résultat m'étonne également mais après tout, le bio est moins productif donc pour apporter la même quantité de nourriture, il faut une superficie supérieure. Cela n'enlève rien aux qualités du bio : c'est bien plus sain pour la santé.
C'est toujours hier que commence le futur, mais la France continue de penser que tout commence demain. (Boualem SANSAL)

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artragis
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par artragis » 09 janv. 2021, 19:00:00

c'est bien plus sain pour la santé.
Non.
C'est probablement l'argument le plus marketting et plus plus faux en faveur du bio.
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Yakiv
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Yakiv » 09 janv. 2021, 19:01:57

artragis a écrit :
09 janv. 2021, 19:00:00
c'est bien plus sain pour la santé.
Non.
C'est probablement l'argument le plus marketting et plus plus faux en faveur du bio.
Il y a pourtant des études scientifiques qui commencent à le montrer.

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fan2machiavel
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par fan2machiavel » 09 janv. 2021, 19:25:51

Yakiv a écrit :
09 janv. 2021, 19:01:57
artragis a écrit :
09 janv. 2021, 19:00:00
c'est bien plus sain pour la santé.
Non.
C'est probablement l'argument le plus marketting et plus plus faux en faveur du bio.
Il y a pourtant des études scientifiques qui commencent à le montrer.
Honnêtement les études que j'ai vu dans ce sens sont hyper bancales et pleines de biais (notamment l'oubli que les personnes mangeant bio font généralement plus attention à leurs alimentation). Globalement l'opinion des toxicologue et nutritionnistes avec qui j'ai discuté c'est plutôt un impact nul ou à la rigueur très faible sur la santé (et pas forcément dans le bon sens soit dit en passant).Les vrais argument que le bio peut mettre en avant c'est sur l'impact environnemental et le bien être animal (même si je l'ai déjà dis il y a une énorme variation entre exploitations).
Comme Nombrilist, je suis surpris sur le fait que le bio aurait un impact carbone plus élevé. Je suis loin d'être un défenseur invétéré du bio mais j'avais tout de même l'impression que s'il y avait quelque chose à mettre en avant sur le bio c'était justement l'impact carbone (après je peux me tromper).
Ensuite ce genre d'étude de comparaison entre le bio et le non bio n'a pas pour moi grand sens. Comme je l'ai dis il y a une grande diversité dans les exploitations agricoles et on mélange forcément des carottes et des navets.

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artragis
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par artragis » 09 janv. 2021, 19:45:51

Il y a pourtant des études scientifiques qui commencent à le montrer.
tu as un lien? La seule étude qui a mis une corélation entre manger bio et meilleure santé, c'était la première publi de nutrinet et eux même disaient que "bon on remarque quand même que le bio est surtout lié au fait d'être dans une classe économique supérieure".
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Nombrilist » 09 janv. 2021, 20:30:37

fan2machiavel a écrit :
09 janv. 2021, 19:25:51
Yakiv a écrit :
09 janv. 2021, 19:01:57
artragis a écrit :
09 janv. 2021, 19:00:00
c'est bien plus sain pour la santé.
Non.
C'est probablement l'argument le plus marketting et plus plus faux en faveur du bio.
Il y a pourtant des études scientifiques qui commencent à le montrer.
Ensuite ce genre d'étude de comparaison entre le bio et le non bio n'a pas pour moi grand sens. Comme je l'ai dis il y a une grande diversité dans les exploitations agricoles et on mélange forcément des carottes et des navets.
Bien vu !

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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par artragis » 09 janv. 2021, 20:34:40

Page 97 de l'ADEME:
Pour les élevages de ruminants, cette tendance [Note: entre 10 et 40% de consommation énergétique en moins pour AB que pour AC] se confirme par plusieurs études. En élevage bovin laitier, Van der Werf etal.(2009) montrent que la consommation totale d’énergie ramenée à la surface est plus importante en AC qu’en AB (respectivement 18,9 contre 12,1 GJ/ha). En revanche, les écarts de consommation totale d’énergie ne sont plus significativement différents entre AB et AC lorsque la comparaison est exprimée en kg de lait produit. Ce résultat est confirmé dans plusieurs pays européens (Suède, France, Allemagne),sauf aux Pays-Bas où les écarts en faveur de l’AB sont significatifs. En élevage bovin allaitant, Cormack (2000) conclut que la production d’un kg de viande de bœuf en AB consomme 55 % d’énergie totale de moins en AB qu’en AC.


Les résultats sont différents pour les élevages de monogastriques (en particulier pour la production de volailles de chair et d’œufs)où les résultats précédents tendent même à s’inverser. Williams et al.(2006) estiment ainsi que la consommation d’énergie directe par kg de viande de volaille produite est plus importante en AB (+25% par rapport à l’AC), mais plus faible lorsqu’elle est ramenée à l'hectare de terre utilisé. Azeez (2008), tout en confirmant ce résultat, observe des différences entre AB et AC plus faibles (+10% pour les poules pondeuses en AB et +11% pour les volailles de chair en AB par unité produite). Ces résultats moins favorables à l’AB s’expliquent par des temps d'engraissement plus longs des animaux élevés en AB et/ou un indice de conversion des aliments plus élevé en AB que pour les élevages en AC.
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Nombrilist » 09 janv. 2021, 20:39:04

C'est sur que si tu commences à comparer du poulet bio à du poulet de batterie, le poulet de batterie est plus "efficace", puisque c'est étudié pour. Mais ça reste de la m..... Je vois que toutes ces comparaisons sont faites sur l'élevage. Mais qu'en est-il pour les cultures?

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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Yakiv » 09 janv. 2021, 21:00:29

artragis a écrit :
09 janv. 2021, 19:45:51
Il y a pourtant des études scientifiques qui commencent à le montrer.
tu as un lien? La seule étude qui a mis une corélation entre manger bio et meilleure santé, c'était la première publi de nutrinet et eux même disaient que "bon on remarque quand même que le bio est surtout lié au fait d'être dans une classe économique supérieure".
Voici 3 études récentes :

https://jamanetwork.com/journals/jamain ... le/2707948

https://www.cambridge.org/core/journals ... F877EF7AC1#

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28770334/

Cela dit, il semble qu'on ait pas forcément éliminé les facteurs de confusion dans ces études, donc qu'on ne soit pas "toutes choses égales par ailleurs" comme vous l'avez souligné avec fan2machiavel.
C'est toutefois, ni plus ni moins, le même type d'étude que celles qui sont censées démontrer que les produits phytosanitaires ne sont pas dangereux parce que les paysans n'ont pas plus de cancers que la moyenne. On est pas non plus "toutes choses égales par ailleurs".
Modifié en dernier par Yakiv le 09 janv. 2021, 21:07:41, modifié 1 fois.

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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par artragis » 09 janv. 2021, 21:04:47

AC et AB ne sont pas "poulets en batterie", surtout en Europe. Un poulet plein air de Louet Label Rouge et le toutim c'est AC, mais jamais de la batterie.
C'est toutefois, ni plus ni moins, le même type d'étude que celles qui sont censées démontrées que les produits phytosanitaires ne sont pas dangereux parce que les paysans n'ont pas plus de cancers que la moyenne. On est pas non plus "toutes choses égales par ailleurs".
D'ailleurs c'est amusant. Car les études qui observent qu'il n'y a pas plus de cancer chez les agriculteurs qu'en population générale, concluent que les agriculteurs sont plus touchés par les cancers (non hodgkinien) que les autres. La principale raison étant qu'entre les données brutes et l'analyse finale, il y a une correction du biais du travailleur sain.

Tout ça pour dire que pour le coup ce n'est pas la même chose que des facteurs de confusion déjà établis comme primordiaux (classe sociale, habitudes alimentaires et sportives qui vont au delà du bio...)

D'ailleurs les études que tu cites viennent de nutrinet. C'est génial, car ce reccueil de données est immense.
Modifié en dernier par artragis le 09 janv. 2021, 21:11:02, modifié 1 fois.
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Re: Quand l’agriculture bio veut censurer l’ADEME et l’INRAE

Message non lu par Yakiv » 09 janv. 2021, 21:09:34

artragis a écrit :
09 janv. 2021, 21:04:47
Tout ça pour dire que pour le coup ce n'est pas la même chose que des facteurs de confusion déjà établis comme primordiaux (classe sociale, habitudes alimentaires et sportives qui vont au delà du bio...)
Etablis, oui. Quantifiés, c'est encore autre chose, sinon il suffirait d'appliquer les facteurs de correction à ces études.
Le problème, c'est toujours un peu ça, de savoir compenser les facteurs confondants, soit avant (lors de l'échantillonnage des participants), soit après (par correction statistique des résultats bruts).

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