https://www.europeanscientist.com/fr/en ... et-linrae/Pendant le mois de décembre 2020, de nombreux journaux[1] se sont fait l’écho d’une étrange querelle : l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) se plaint de la mise en ligne publique de la base de données environnementales Agribalyse, mise au point par l’ADEME et l’INRAE[2], et demande son retrait ! De quoi s’agit-il ?
Cette base de données publique recense les résultats des analyses d’impact environnemental de 3 000 produits agricoles, bruts ou prêts à la consommation. Elle sert de référence aux agriculteurs et aux restaurateurs qui souhaitent améliorer leur bilan environnemental, et doit servir de base au futur étiquetage environnemental de produits alimentaires. La raison du courroux de l’ITAB : les produits bio y seraient systématiquement défavorisés par rapport aux produits de l’agriculture intensive, en particulier à cause de la méthode de l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) utilisée pour mesurer leur impact environnemental. Les défenseurs du bio remettent ainsi en cause l’outil essentiel de mesure des impacts environnementaux des activités humaines, reconnu au niveau mondial, qui sert de base à tous les plans internationaux pour la lutte contre le changement climatique !
Dans la rubrique « Planète » du Monde, qui passe son temps à dénoncer des conflits d’intérêts réels ou fantasmés, il est assez surréaliste de voir ainsi relayée la plainte d’un organisme privé, dépendant à 100% de l’agriculture bio, qui demande le retrait de données publiques établies par les deux organismes de référence français pour les impacts environnementaux de l’agriculture. Mais il est clair depuis longtemps que la notion de conflit d’intérêts est très sélective dans la presse française. Cela ne doit pas nous empêcher d’étudier l’argumentation de l’ITAB, détaillé dans un dossier qui compte pas moins de 52 pages[3].
Un faux procès fait à l’Analyse de Cycle de Vie
En fait, quand on lit en détail ce document, on n’y trouve aucune véritable remise en cause scientifique de la méthode de l’ACV (encore heureux, puisqu’il faut rappeler une fois encore que c’est celle qui fait référence dans toutes les évaluations internationales sur l’environnement). L’ITAB lui fait deux reproches :
L’ACV ne suffit pas pour caractériser l’impact environnemental de l’agriculture. En particulier, elle ne prend pas en compte ses impacts sur la qualité des paysages et sur la biodiversité.
Même pour les impacts qu’elle prend en compte, elle serait biaisée par construction en faveur de l’agriculture intensive.
Examinons ces deux points :
Le premier point est partiellement vrai, mais tendancieux, en ce qui concerne la biodiversité : effectivement, l’ACV n’intègre pas de mesure d’impact réel sur la biodiversité, mais elle comprend tout de même un indicateur d’écotoxicité. Comme cet indicateur repose sur le classement toxicologique des produits, il s’agit d’un indicateur de danger et non de risque, il tend donc à surestimer l’impact réel des produits utilisés pour la production agricole. De toute façon, comme nous le verrons dans la suite, les résultats des études sur le land sharing et le land sparing suggèrent qu’une prise en compte des impacts mesurés sur la biodiversité serait plutôt défavorable au bio, quand on les mesure en fonction de la quantité produite. Pour l’impact sur le paysage, le reproche n’a aucun sens, comme nous le verrons là aussi dans la suite : le maintien ou la restauration d’espaces naturels favorables à la biodiversité est une problématique différente de celle des pratiques agricoles, qui ne peut donc pas être prise en compte dans une analyse des produits agricoles finaux. De plus, là encore, l’agriculture bio, par ses faibles rendements, complique la bonne gestion des paysages, au lieu de la favoriser.
Le second point relève du pur complotisme. D’après l’ITAB, « Les ACV reposent sur le paradigme du « land sparing » et «la méthodologie ACV, notamment en raison du paradigme de départ sur lequel elle s’appuie, favorise les systèmes intensifs». Nous reviendrons au paragraphe suivant sur ce qu’est le land sparing, et sur la vision totalement mensongère qu’en propage l’ITAB. Il suffit de dire pour l’instant que le land sparing se réfère simplement à un mode de gestion de la biodiversité agricole à l’échelle du paysage, et n’a donc aucun rapport avec les calculs d’impact faits par les ACV. En fait, si l’ACV gêne tant l’ITAB, c’est pour la raison qu’il avoue lui-même : «Une problématique majeure est celle liée au fait que les impacts ACV sont rapportés aux kilos produits » L’Institut ajoute immédiatement « et par conséquent, cela privilégie, par construction, les systèmes intensifs », ce qui est totalement faux : si l’agriculture bio est mal notée dans les ACV, c’est essentiellement parce qu’elle a un moins bon bilan énergétique que l’agriculture conventionnelle, ramené aux quantités produites. Or c’est bien le bilan par quantité d’aliment produite qu’il faut calculer pour avoir une vision de l’impact environnemental de notre consommation, et pas le bilan à l’hectare comme les partisans du bio ont longtemps essayé de l’imposer. Si on se ramène à la surface agricole, on compare les impacts environnementaux d’un hectare de culture conventionnelle à un hectare de culture bio qui nourrit 40 à 50% de personnes en moins, cela n’a aucun sens.
[...]
Pour information, le rapport de l'ademe qui est évoqué et qui est la cause de la guerre est ici : https://www.strategie.gouv.fr/sites/str ... 0131_0.pdf j'ai commencé à le lire, mais il est loooonnnnnng.