Délaissées par les agriculteurs à la faveur de l'automatisation, des parcelles entières sont reconquises par la nature, en particulier dans les régions montagneuses du sud de la France. Au total, les zones forestières françaises ont doublé depuis les années 1820. "Il faut mettre ces chiffres en perspective, nuance Patrice Martin, garde forestier dans le Jura. Beaucoup des surfaces aujourd'hui qualifiées de "forêts" dans le cadastre ne sont en réalité que des friches et des prairies abandonnées. Il faudra beaucoup de temps avant de pouvoir les considérer comme telles."
Membre du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel (SNUPFEN), Patrice Martin est loin de partager la vision enthousiaste des forêts françaises présentée par nos voisins britanniques. En septembre et octobre dernier, il a organisé une marche des forestiers à travers la France pour alerter contre la "marchandisation" du patrimoine forestier. "Au départ, l'Office national des forêts est censé avoir trois services : l'exploitation de la forêt, sa gestion, et l'accueil du public. Ces deux dernières missions sont en train de disparaître au profit d'une industrialisation des forêts", regrette-t-il.
Dans son viseur :
le remplacement des forêts naturelles par des plantations "intensives" en monoculture, dont les arbres sont, à terme, destinés à être coupés et vendus. "Le meilleur exemple de cette tendance est la multiplication des sapins Douglas : ils ont d'abord été plantés dans la forêt des Landes, mais on en trouve aujourd'hui dans le Limousin ou encore dans le Morvan". Venant d'Amérique du Nord, le sapin Douglas pique depuis les années 50 l'intérêt des forestiers et des industriels. "Ils ont une croissance rapide et fournissent un bois qui n'a pas besoin d'être entretenu en extérieur, ce qui le rend parfait pour sa commercialisation", note Brigitte Musch généticienne au département recherche et développement de l’Office national des forêts (ONF).
Mais la plantation de ce bois enchanteur pose problème à nombre de forestiers : "La monoculture est souvent plus vulnérable dans son ensemble aux champignons, qui peuvent faire des ravages sur une seule forêt", avance Patrice Martin. Pas de quoi rassurer, alors que 17% des forêts françaises ne comptent qu'une seule essence.
Autre grief : l'atteinte à la biodiversité. "Un arbre, c'est un écosystème à lui tout seul, avec ses insectes, ses bactéries, ses champignons, ses oiseaux, poursuit-il. On se prive de forêts avec des feuillus, des conifères, des centaines d'espèces différentes, et la diversité qui va avec". D'autant que l'exploitation intensive des sapins de Douglas affecte aussi les sols : "Les coupes rases à répétition tassent la terre et l'empêchent de respirer. C'est désastreux pour les espèces en sous-sol comme les vers de terre", ajoute le forestier.
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