Dominique Delorme, uniforme vert sapin et barbe blanche, règne depuis dix ans sur un domaine de 1 800 hectares peuplé de pins et de mélèzes, dans les montagnes de l'Embrunais (Hautes-Alpes). Une forêt d'altitude, sombre et belle, mais « pas très productive », décrit ce garde forestier de l'Office national des forêts (ONF), secrétaire départemental du principal syndicat des personnels forestiers, le Snupfen. 40 % de sa superficie n'est pas exploitable, et le terrain montagneux nécessite des travaux d'entretien réguliers du fait des risques naturels – torrents, éboulis, érosion, risques d'incendie…
Comme plus de 500 autres agents de l'ONF (selon le Snupfen), M. Delorme a quitté ses arbres, jeudi 25 septembre, pour venir manifester devant le siège de l'Office à Paris, dans le cadre d'un mouvement de grève lancé par le syndicat. En cause : un nouveau coup de rabot dans le budget de l'ONF, qui devrait être inscrit dans la loi de finances 2015. L'Etat prévoit de se désengager de l'établissement public à hauteur de 20 millions d'euros dès l'année prochaine, pour atteindre d'ici trois ans des économies de 50 millions d'euros par an.
Le ministère de l'agriculture compte aussi renégocier, un an avant son terme, le contrat quinquennal qui le lie à l'ONF et aux communes forestières. En attendant, l'Office s'est engagé à « équilibrer son budget par des économies et de nouvelles recettes », fait savoir le ministère.
GOUTTE D'EAU
Pour le Snupfen, inquiet d'une remise en cause du régime forestier public et de ses conséquences sociales à l'ONF, c'est « la goutte d'eau qui fait déborder le vase ». « On a déjà un déficit chronique depuis 1986, et surtout depuis les tempêtes de 1999. On a perdu mille emplois en dix ans », détaille son secrétaire général, Philippe Berger. Dans le contrat d'objectifs 2012-2016, ce sont encore 600 suppressions de postes qui sont prévues, sur un total de 9 500 emplois. Perte de sens, surcharge de travail, pression à la productivité… Le malaise social latent s'est traduit, selon les syndicats, par une trentaine de suicides depuis 2005, et encore cinq en 2013, malgré les mesures d'accompagnement prises par la direction.
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L'ONF assoit en effet son budget sur les ressources issues de la coupe du bois. L'Office fournit 40 % du bois français, alors que la forêt publique ne représente qu'à peine plus du quart de la forêt française. La forêt privée, plus morcelée, étant moins exploitée. « Les forêts qui rapportent le plus aident les forêts plus pauvres, mais à forts enjeux, explique M. Delorme. Mais ceci implique une vision nationale d'un patrimoine forestier commun. »
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Ici aussi, c'est dans les communes aux forêts les moins rentables – et notamment en montagne – que les réactions furent les plus vives. Jean-Claude Dou, président des communes forestières des Hautes-Alpes, et ex-maire de Puy-Saint-Eusèbe – 310 habitants, 500 hectares de forêt improductive – assène :« Notre forêt nous coûte déjà. Si les frais augmentent, on n'aura pas d'autre choix que de demander à quitter l'ONF. Pourtant ce serait à regret. Notre régime forestier date du XIIIe siècle, il est souvent cité en exemple, il permet un approvisionnement pérenne de la filière bois, déjà très déficitaire, pour les entreprises du coin, et une gestion durable de notre écosystème. »
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Elle rend bien d'autres services, contre l'érosion des sols, pour approvisionner les nappes phréatiques, capter le carbone, abriter la biodiversité, ou encore, donner « une bouffée d'oxygène » aux citadins, énumère-t-il. « Il faudrait que le budget de l'ONF comptabilise tous ces services », espère M. Delorme. Dépendant des cours fluctuants du bois et des fragiles subventions de l'Etat, le budget de l'établissement public a en tout cas grand besoin d'idées neuves pour sortir d'un déficit structurel, dans le pays qui arbore pourtant la troisième forêt d'Europe.
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