Mais si Trump nomme une juge ultra-conservatrice avant de perdre sa ré-élection, il laissera une Cour Suprême profondément déséquilibrée, la plus conservatrice de son existence. Ce qui aurait de fortes implications sur plein de sujets.
https://www.liberation.fr/planete/2020/ ... ce_1799979Libération a écrit :
Avortement, droits LGBT, Obamacare : les périls d'une Cour suprême plus conservatrice
Par Isabelle Hanne, Correspondante à New York — 20 septembre 2020 à 12:09
Les conséquences de la mort de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg et son remplacement probable par un magistrat conservateur laissent planer de nombreuses menaces sur la société américaine.
La mort de la juge progressiste et doyenne de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, vendredi, offre aux républicains la possibilité de consolider la majorité conservatrice de la plus haute instance judiciaire américaine. Qu’il soit réélu ou non le 3 novembre, le président Donald Trump pourrait parvenir à faire confirmer par le Sénat son candidat – a priori sa candidate –, avant la prochaine investiture, le 20 janvier 2021. Il s’est engagé auprès de son électorat, et notamment la droite religieuse, à nommer un magistrat aux valeurs chrétiennes conservatrices.
En veillant à la constitutionnalité des lois, les neuf juges de la Cour suprême, nommés à vie, arbitrent des débats cruciaux, de la peine de mort au mariage de personnes de même sexe en passant par les droits civiques. Une majorité de six juges conservateurs, contre trois progressistes, pourrait façonner durablement le droit, et la société américaine, en restreignant le droit de vote, en limitant encore plus un droit à l’avortement déjà rogné dans plusieurs Etats, ou en renforçant les libertés religieuses et le port d’armes. «Des générations de décisions judiciaires sont en jeu», prévient le stratège démocrate Antjuan Seawright.
Bouleversement des équilibres
Depuis le début de son mandat, Donald Trump a déjà pu installer deux juges conservateurs dans le temple du droit américain : Neil Gorsuch en 2017 et Brett Kavanaugh l’année suivante. Ils remplaçaient tous deux des juges nommés par le président républicain Ronald Reagan – le très conservateur Antonin Scalia, mort en 2016, et Anthony Kennedy, parti à la retraite en 2018. Ce dernier, plus modéré, était considéré comme le «Swing Justice» de la Cour, votant tantôt avec les conservateurs (restrictions du droit de vote, blocage d’une législation sur le contrôle des armes, autorisation du financement illimité des campagnes électorales par les entreprises), tantôt avec les progressistes (mariage gay, restrictions à la surpopulation carcérale ou au recours à la peine de mort).
Dans la Cour Suprême remaniée par Trump, c’est le président de la Cour, John Roberts, nommé par George W. Bush et grand défenseur de l’indépendance de l’institution, qui semble avoir endossé ce rôle, votant parfois avec ses confrères progressistes. Lors de sa dernière salve de décisions rendues en juin, la Cour suprême a d’ailleurs infligé plusieurs camouflets au président républicain, qui les a taxés d'«horribles et orientées politiquement». La Cour a validé les protections accordées par l’administration Obama aux «dreamers», ces jeunes immigrés arrivés clandestinement sur le territoire national, auxquelles Trump souhaitait mettre fin. Elle a invalidé une loi de Louisiane, qui restreignait drastiquement l’accès à l’avortement. Et rendu une autre décision défavorable à l’exécutif, en considérant que la loi sur les droits civiques de 1964 s’appliquait aussi aux discriminations à l’emploi fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
Avec six juges conservateurs contre trois progressistes, Roberts perd son vote décisif : une défection à droite ne suffira plus à conserver ce fragile équilibre idéologique. Avec des répercussions potentiellement considérables. «Il n’y a eu qu’une seule décision de la Cour suprême qui affirme les droits des personnes trans, celle de juin qui concerne seulement les protections à l’emploi, et c’était un petit miracle, note l’activiste transgenre et ancienne militaire Charlotte Clymer. Une Cour à neuf juges, avec une majorité conservatrice de six à trois, détruirait efficacement le futur des droits des transgenres.»
Obamacare
Premier sujet à l’agenda, la Cour suprême doit examiner en novembre une nouvelle tentative, par le camp républicain, de détricoter l’Affordable Care Act (Obamacare). Dans une Amérique endeuillée par le Covid-19 (près de 200 000 morts et 6,7 millions de personnes infectées), le parti de Trump n’a en effet jamais cessé sa croisade contre la réforme de l’assurance santé de Barack Obama, qui a notamment permis à 25 millions d’Américains, les plus pauvres et les plus vulnérables du pays, de bénéficier d’une couverture santé.
Lors d’une précédente offensive devant la Cour suprême, en 2012, le Chief Justice Roberts avait voté avec les progressistes, permettant le sauvetage de la réforme emblématique du président démocrate. Une position qui pourrait s’avérer insuffisante cette fois, avec l’arrivée d’un sixième juge conservateur. Une annulation d’Obamacare supprimerait la couverture santé de millions d’Américains et permettrait aux compagnies d’assurances de prendre à nouveau en compte les antécédents médicaux pour faire payer plus cher, voire refuser de couvrir les patients considérés comme à risque.
Avortement
Donald Trump, qui s’est engagé dès 2016 à remplir les tribunaux de juges antiavortement, a affirmé samedi soir qu’il proposerait «dès la semaine prochaine» un nom, celui d’une femme, pour remplacer Ruth Bader Ginsburg. L’exécutif a eu tout loisir de préparer l’après-«RBG», malade depuis longtemps. Voulant donner des gages à ses alliés et mobiliser ses électeurs, le président américain avait publié le 9 septembre une liste de candidats potentiels. Parmi ceux-là, Amy Coney Barrett, une juge fédérale de la cour d’appel des Etats-Unis, 48 ans, semble tenir la corde. Cette catholique fervente, mère de sept enfants, a montré à plusieurs reprises son hostilité envers les droits reproductifs. «Le dogme religieux vit bruyamment en vous», lui avait reproché la sénatrice démocrate Dianne Feinstein lors de son processus de confirmation en 2016. Amy Coney Barrett avait rétorqué qu’elle savait faire la distinction entre sa foi et «ses responsabilités de juge».
Sa nomination ou celle de tout autre magistrat conservateur, en remplacement de Ruth Bader Ginsberg, est un coup dur pour les défenseurs de l’avortement. L’icône progressiste a consacré sa carrière de juriste, puis de juge, à défendre les droits des femmes et à réaffirmer la constitutionnalité de Roe vs Wade, l’arrêt de 1973 qui a légalisé de facto l’IVG aux Etats-Unis. Et que la droite religieuse américaine combat depuis le premier jour.
La Cour suprême n’aura que l’embarras du choix : de nombreuses lois votées dans des législatures d’Etats à majorité républicaine, bloquées pour leur caractère anticonstitutionnel, progressent de tribunaux en cours d’appel dans le but assumé de remonter jusqu’à la plus haute instance, et ainsi tester la résistance de Roe vs Wade. «Depuis 2011, les opposants à l’avortement dans les législatures d’Etat ont soumis au vote plus de 450 lois néfastes pour rendre l’accès à l’IVG pratiquement impossible, rappelle Nancy Northup, la présidente du Center for Reproductive Rights. Des dizaines sont en ce moment en attente dans les tribunaux fédéraux ou d’Etat.» A l’instar des «Heartbeat Bills», ces lois votées en 2019 dans l’Ohio, le Missouri, la Louisiane ou la Géorgie, qui interdisent aux femmes d’avorter dès que les battements de cœur du fœtus peuvent être détectés. Ou la loi HB 314, promulguée en mai 2019 en Alabama, qui vise à interdire l’avortement même en cas d’inceste ou de viol, et punit de 10 à 99 ans de prison les médecins le pratiquant.
Liberté religieuse et droits LGBT
Dès le lendemain de l’élection, la Cour suprême doit se pencher sur un cas qui oppose liberté religieuse et droits LGBT. En 2018, la ville de Philadelphie a décidé de couper ses financements et d’arrêter de travailler avec les Catholic Social Services, une agence confessionnelle de placement en familles d’accueil qui refusait de confier des enfants à des couples homosexuels. L’agence, qui a porté l’affaire devant les tribunaux, affirme que la décision de la municipalité viole la liberté religieuse.
Si cet argument l’emporte à la plus haute instance judiciaire des Etats-Unis (il a été rejeté par deux tribunaux), la Cour suprême donnerait aux organisations confessionnelles, qui reçoivent des financements publics, le droit d’imposer des critères religieux aux parents adoptifs. Les conséquences d’un tel avis dépasseraient très largement la question de l’adoption. En 2018 déjà, la Cour suprême s’était prononcée en faveur d’un pâtissier du Colorado qui avait refusé de confectionner un gâteau de mariage pour un couple homosexuel au nom de ses croyances religieuses.