"La géopolitique des valeurs"

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Yakiv
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"La géopolitique des valeurs"

Message non lu par Yakiv » 21 janv. 2020, 22:52:43

Voilà un texte d'une très grande qualité qui montre assez bien les limites de la "real-politik", ou quand les peuples montent au créneau pour des "valeurs".
La politique cynique qui carbure aux "intérêts nationaux" n'est donc pas nécessairement la plus efficace.
Les Echos a écrit :
De Taipei à Téhéran, pour une « géopolitique des valeurs »

La victoire du Parti démocrate progressiste à Taïwan, en résistance à l'impérialisme chinois, et la révolte des Iraniens face aux mensonges du régime des mollahs dans la frappe de l'avion ukrainien, aussi éloignés soient-ils géographiquement, sont révélatrices d'un même phénomène, pour Dominique Moïsi. Les pressions excessives exercées par les Etats ne sont pas sans limites, et l'attachement aux idéaux démocratiques est mieux partagé à travers la planète qu'on veut bien le laisser croire.

Depuis les pressions grandissantes exercées par Beijing sur Hong Kong, les habitants de Taïwan se sentent un peu moins chinois et beaucoup plus taïwanais. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)
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Par Dominique Moïsi
Publié le 19 janv. 2020 à 11h00Mis à jour le 20 janv. 2020 à 12h35


« Itinéraire de Paris à Jérusalem ». C'était le titre d'un récit de voyages publié en 1811 par François René de Chateaubriand. Plagiant Chateaubriand, devrait-on en ce début d'année 2020, parler d'un « Itinéraire de Taipei à Téhéran » pour bien saisir la complexité du monde et en rejeter les interprétations culturelles simplistes ?

La comparaison/opposition entre les événements qui viennent de se dérouler à Taïwan et en Iran est particulièrement éclairante. Au moment où Taïwan disait pacifiquement, par la voie électorale, « non » à la Chine, l'Iran disait « non » dans la rue au régime des mollahs. A Taïwan, Tsai Ing-wen était réélue triomphalement avec 57 % des voix et une majorité renforcée pour le DPP (le Parti Démocrate Progressiste). En remettant en cause le statut quo existant à Hong Kong, la Chine de Xi Jinping a jeté les habitants de Taïwan dans le « camp de la liberté ». Ce qui ne signifie pas le parti de « l'indépendantisme ». Le pouvoir en place à Taipei fait preuve de prudence. Mais, depuis les pressions grandissantes exercées par Beijing sur Hong Kong, les habitants de Taïwan se sentent un peu moins chinois et beaucoup plus taïwanais.

Mélange d'incompétence et de mensonge
Ils ont voté pour le statu quo et le maintien de la démocratie, l'Etat de droit et la liberté dans leur île. Les défilés pacifiques des partisans des deux grands partis qui se sont disputé le pouvoir, ont démontré de manière spectaculaire le contraste existant entre Taïwan, Hong Kong et la Chine de Beijing. Passion contenue par le respect de l'autre à Taïwan, violence entre les autorités et le peuple à Hong Kong , silence muselé à Beijing. Poutine a largement réussi à « dépolitiser » les Russes, même si la « Génération Poutine » commence à prendre ses distances avec un pouvoir qu'elle a toujours connu. La Chine de Xi Jinping a fait exactement l'inverse. Elle a « repolitisé » contre elle, si cela était encore nécessaire, la Chine de Taïwan. En Asie, la peur de la Chine continentale ne pousse pas seulement ses voisins à consolider les liens stratégiques qui existent entre eux. Elle conforte, de Taipei à Tokyo, la cause de la démocratie : parfait exemple d'un espoir fondé sur la peur.

En Iran, c'est exactement l'inverse. Un sentiment d'humiliation intense a débouché sur la colère et la violence. La destruction en plein vol par deux missiles iraniens d'un avion civil ukrainien et, plus encore, le mensonge accompagnant initialement cette erreur tragique ont conduit la nation à se retourner contre ses dirigeants . Quelques jours auparavant, pourtant, l'assassinat du général Soleimani avait réuni la nation derrière son Etat. Le mélange d'incompétence et de mensonge dont a fait preuve le pouvoir - alors que la plupart des victimes (près de 200) étaient iraniennes ou d'origine iranienne - était tout simplement trop grand. Il est trop tôt pour savoir si cette tragédie sera pour le régime iranien l'équivalent de ce que fut pour l'URSS le drame de Tchernobyl. Se traduira-t-elle par une perte de confiance irrémédiable en un pouvoir qui provoque par son incompétence la mort de ses propres citoyens ? La rue iranienne grondait déjà avant la tragédie, indignée comme elle pouvait l'être par la corruption de ses dirigeants, la violence de la répression et la dégradation continue des conditions économiques et sociales. Poutine peut bien servir de modèle à de nombreux régimes autoritaires, le sort connu par l'URSS hier devrait pourtant les faire réfléchir.

Attachement aux idéaux démocratiques
Quelles leçons tirer de cet « Itinéraire de Taipei à Téhéran » ? Aucunes, diront les cyniques. Comment comparer ce qui n'est pas comparable ? Demain Taïwan sera revenu dans le giron chinois. C'est une anomalie minuscule, produit de l'histoire récente - un peu plus de soixante-dix ans - qui sera « réparée » au plus tard en 2049 pour le centième anniversaire de la République populaire de Chine. En Iran, le régime a certes failli, mais ses capacités de répression l'emportent encore (jusqu'à quand ?) sur les capacités d'indignation d'un peuple, par ailleurs profondément divisé.

Et pourtant les événements intervenus à Taïwan et en Iran constituent une réponse aux tenants des simples explications culturelles. « Cujus regio, ejus religio » (à chaque région, sa religion), disait-on dans l'Europe du XVIIe siècle au moment du traité de Westphalie en 1648. Aujourd'hui ne serait-il pas plus simple de dire « à chaque culture, sa culture politique ». La démocratie, ou ce qu'il en reste, à l'ouest, l'autoritarisme à l'est. C'est en tout cas une thèse commode qui permet tous les reniements, tous les accommodements. La réalité est infiniment plus complexe. L'homme ne vit pas que de pain. L'attachement aux idéaux démocratiques n'est pas une simple spécificité culturelle et encore moins une aberration de la société occidentale, qui pratiquerait de moins en moins ce qu'elle continue de prêcher, il est vrai de façon beaucoup plus timide.

Les émotions des peuples
Au-delà de cette interrogation d'ordre culturel, les événements intervenus en Iran et à Taïwan nous ramènent à la question posée par le professeur d'Harvard Joseph Nye, dans son dernier livre, « Do Morals Matter : Presidents and Foreign Policy from FDR to Trump » (1) : la morale compte-t-elle en politique étrangère ? Pour l'école réaliste des relations internationales, les questions de morale sont tout simplement hors sujet. Les Etats n'ont qu'un seul devoir, un seul objectif : assurer la sécurité de leur peuple. Le Bien, c'est ce qui est bien pour les intérêts de son pays. Il serait tout simplement dangereux de vouloir faire rimer éthique et géopolitique.

Pourtant, à partir des développements intervenus de Téhéran à Taipei, il serait facile de démontrer que l'excès de cynisme est une forme de naïveté, contraire à la poursuite des intérêts nationaux bien compris. Les mensonges criants des mollahs en Iran, les pressions inconsidérées du pouvoir chinois à Hong Kong se sont de fait retournés contre leurs auteurs. Autrement dit, il existe au moins à la marge une « géopolitique des valeurs » et on ne joue pas impunément avec les émotions des peuples.

Dominique Moisi est conseiller spécial à l'Institut Montaigne.

(1) Oxford University Press, décembre 2019.

Dominique Moïsi

pierre30
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Re: "La géopolitique des valeurs"

Message non lu par pierre30 » 24 janv. 2020, 22:23:22

Certainement ! Le cynisme et les valeurs peuvent se marier à egalite à l'incompetence et à l'aveuglement.
C'est encore pire.

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Yakiv
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Re: "La géopolitique des valeurs"

Message non lu par Yakiv » 06 nov. 2021, 09:37:46

La Lituanie, pôle de de la diplomatie démocratique dans l'UE, n'hésite pas à s'attaquer aux gros poissons.
France Culture a écrit :
La Lituanie, un Lilliputien hyperactif du combat démocratique

29/10/2021
Par Bruno Cadène


Depuis des siècles, la Lituanie cultive un symbole : la défense des libertés. Et le petit pays balte, membre de l’Union européenne, n'hésite pas aujourd’hui à croiser le fer avec la Russie et la Chine, à dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme imputables à Moscou ou à Pékin. Un combat risqué.
Crédits  Petras Malukas - AFP.png
Crédits Petras Malukas - AFP.png (376 Kio) Vu 7165 fois
La cheffe du gouvernement lituanienne Ingrida Simonyte défile à Vilnius aux côtés de l'opposante bélarussienne Svetlana Tikhanovskaïa sous le slogan "Nous n'oublierons pas !".• Crédits : Petras Malukas - AFP

(...)

en octobre 2021, les Lituaniens accueillent, avec des Tchèques et des Slovaques, une délégation de 65 personnes venues de... Taïwan ! Il s'agit de membres du gouvernement et d'entrepreneurs de l'île que Pékin veut réintégrer à la "mère-patrie". La Lituanie pousse le défi encore plus loin lorsque le pays annonce recevoir un Bureau de représentation, non pas de Taipei, comme la Chine en impose l'usage, mais de Taïwan… Le choix des mots n’est pas innocent.

Entre Vilnius et Pékin, la crise est consommée. Entre la défense des Ouïghours et celle des militants pro-démocratiques de Hong Kong, la Lituanie a désormais passé la ligne rouge. L’ambassadeur de Lituanie en Chine va bientôt quitter son poste à Pékin et en même temps, l'ambassadeur de République populaire de Chine a été rappelé chez lui.

La diplomatie lituanienne s’est aussi investie très activement dans la situation du Bélarus, pays très proche, très lié à Vilnius. Les deux pays partagent une histoire commune, celle du Grand-Duché de Lituanie et les Principautés du Bélarus, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle. En 1919, la République populaire, premier État indépendant du Bélarus, a même voulu faire de Vilnius – Vilna pour les bélarussiens – sa capitale...

Une proximité qui explique en partie l'accueil de nombreux réfugiés politiques après la crise politique provoquée par l'élection présidentielle du 9 août 2020 à Minsk. L’autocrate Alexandre Loukachenko avait alors été accusé d’avoir truqué le scrutin pour rester aux affaires.
(...)

Et Vilnius, désormais, n’hésite pas à solliciter le soutien de ses alliés européens. Lors d’une visite de Clément Beaune, secrétaire d’État français chargé des Affaires européennes, en septembre 2021, le vice-ministre lituanien des Affaires étrangères Arnoldas Pranckevičius a alerté : "La Lituanie fait face à une pression grandissante de la part de la Chine en matière politique, diplomatique et des relations publiques, et nous espérons beaucoup une solidarité des partenaires et des alliés."

Bruno Cadène
https://www.franceculture.fr/geopolitiq ... mocratique

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Snark
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Re: "La géopolitique des valeurs"

Message non lu par Snark » 07 nov. 2021, 12:44:57

C'est plus courageux de s'en prendre à un fou dangereux comme Xi jinping que de fustiger
les chomeurs ou les fonctionnaires .

https://www.courrierinternational.com/a ... provisions
Et pendant ce temps là le permafrost décongèle .

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Yakiv
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Re: "La géopolitique des valeurs"

Message non lu par Yakiv » 07 nov. 2022, 23:41:43

Taïwan va faire produire des semi-conducteurs en Europe, dans un pays qui le soutient activement depuis des années (et c'est un juste retour des choses !).
RFI a écrit :
Semi-conducteurs: en Europe, les Taïwanais veulent miser sur la Lituanie


Publié le : 07/11/2022 - 23:31
Texte par : RFI

Taïwan s'apprête à investir dix millions d'euros dans la production des puces électroniques en Lituanie. C'est l'Itri, l'Institut taïwanais de technologie et de recherche, en coopération avec un spécialiste local de la communication sans fil, qui devra développer la production de semi-conducteurs.
(...)

Presque un an après l'ouverture du bureau de représentation de Taïwan dans ce pays balte, voici donc le premier plan de coopération. L'Institut taïwanais de technologie et de recherche a choisi Teltonika comme partenaire. Au départ simple producteur de systèmes de télécommunication, ce groupe lituanien est devenu l'un des spécialistes de la communication sans fil.
(...)
https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20 ... a-lituanie

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