Brexit : mais que veulent vraiment les députés britanniques ?
mer. 13 mars 2019 - 22:31
Un nouveau vote historique aux Communes a écarté une sortie de l'UE sans accord, renforçant le chaos alors qu'une demande d'extension de l'article 50 semble inévitable
C’est pourtant simple. Les députés britanniques ne veulent pas sortir de l’Union européenne sans avoir d’abord conclu un accord avec cette dernière. Et ce, quelles que soient les circonstances. Ils ont voté mercredi soir en ce sens, largement, par 321 voix contre 278. Mais ils ne veulent pas non plus de l’accord de retrait conclu entre le gouvernement de Theresa May et les négociateurs européens, après deux ans et demi de négociations. Ils l’ont catégoriquement rejeté mardi soir, par une majorité de 149 voix.
Ce qui est moins simple, c’est de comprendre ce que les députés britanniques souhaitent. Et c’est d’autant plus compliqué qu’ils ne le savent pas eux-mêmes. Ou alors, c’est plutôt qu’ils ont tellement d’opinions différentes qu’il leur est impossible de définir une ligne stable sur laquelle tous pourraient s’accorder. D’où le casse-tête et le chaos invraisemblable dans lequel se débat le Parlement. Ce mercredi soir, la Première ministre, Theresa May, sur un ton d’institutrice revêche et enrouée, a reconnu après sa nouvelle défaite qu’il existait à la Chambre des communes une
«claire majorité contre une sortie sans accord», mais, a-t-elle ajouté, si
«un accord n’est pas voté avant le 29 mars, la situation par défaut reste une sortie sans accord». Sur les bancs de la Chambre des communes, plusieurs sourcils interrogateurs se sont soulevés. Pourtant, son intention est claire : elle a l’intention de proposer au vote des députés, pour la troisième fois et avant le 29 mars, l’accord de retrait.
L’énième vote crucial sur le Brexit, ce mercredi soir, a donné lieu à des sommets de situations ubuesques, pour ne pas dire absurdes. Les députés devaient se prononcer sur une motion déposée par le gouvernement proposant d’écarter une sortie sans accord le 29 mars, date officielle du Brexit. Mais il souhaitait aussi garder l’option d’une sortie sans accord si, à l’issue d’une extension de l’article 50, aucun accord n’était toujours adopté.
Extinction de voix
Pour beaucoup de conservateurs, garder l’option d’un
«no-deal» sur la table permettait de garder une carte en main pour des négociations futures avec les Européens. Le fait que ceux-ci aient clairement indiqué, et à plusieurs reprises, que ces négociations étaient désormais terminées et que l’accord de retrait négocié était
«le seul accord sur la table» n’était pas entré dans l’équation de leur raisonnement. Encore debout, même si atteinte d’une extinction de voix et d’un nouveau sérieux chancellement de son autorité, Theresa May avait accordé un vote libre à ses députés conservateurs, histoire de ménager les humeurs des uns (les ardents Brexiters, en faveur d’une sortie sans accord) et des autres (les remainers contre le Brexit tout court).
Du coup, Caroline Spelman, une députée conservatrice, avait déposé un amendement proposant le rejet catégorique d’une sortie sans accord, quelles que soient les circonstances. A la surprise générale, cet amendement a été adopté, par quatre toutes petites voix de majorité (312 contre 308). Une fois adopté, cet amendement a été automatiquement attaché à la motion proposée par Theresa May. C’est à cet instant que la Chambre des communes est tombée dans une autre dimension, difficile à saisir pour les non-habitués des contorsions parlementaires britanniques, mais aussi pour les spécialistes. Plusieurs journalistes britanniques murmuraient entre leurs dents n’avoir
«jamais vu ça». Alors que le vote de la motion était supposé être libre pour les conservateurs, le
«Whip», le député chargé de gérer la discipline du parti, s’est démené, juste avant le vote, pour convaincre les conservateurs de voter contre la motion de leur propre gouvernement. Au point de voir Theresa May voter contre sa propre motion, et donc en faveur d’une sortie de l’UE sans accord !
Mais plusieurs députés tories, dont plusieurs ministres, ont choisi de ne pas suivre les consignes du gouvernement, en s’abstenant ou en votant en faveur de la motion amendée, qui a donc été adoptée. Sarah Newton, secrétaire d’Etat au Travail, a même annoncé dans la foulée sa démission du gouvernement.
Prochain épisode jeudi soir
La Chambre des communes, et Theresa May, se retrouvent désormais face à une presque certitude : le pays ne devrait pas sortir de l’UE sans avoir au préalable voté un accord de sortie. Sauf que les députés ont déjà rejeté à deux reprises l’accord. Mais la Première ministre semble décidée à tenter le coup une troisième fois. La prochaine saison de cet incroyable feuilleton est attendue jeudi soir. Theresa May a déposé une nouvelle motion. Cette fois-ci, le vote portera sur une demande de l’extension de l’article 50, soit très courte et technique permettant de passer dans la loi un accord qui aurait donc été voté entre-temps. Ou alors une extension nettement plus longue qui, dans ce cas, a-t-elle menacé,
«obligerait le Royaume-Uni à participer aux élections européennes» de mai. Ce qui, en soi, représenterait la situation la plus absurde de toutes. A moins que, dans un «
finale» extraordinaire, le gouvernement décide de révoquer l’article 50 et donc d’annuler le Brexit.
Sonia Delesalle-Stolper Correspondante à Londres
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