fan2machiavel » Mar 18 Nov 2014 - 07:38 a écrit :Lors d'une conférence sur la réforme de la PAC, Vincent Le Chatellier (économiste spécialiste des questions agricôles) nous avait très bien résumé en une phrase la situation: "Le problème de l'Europe c'est la démocratie". En effet, l'union européenne rassemble des populations avec des visions de l'Europe et du Monde totalement contradictoires et chacun défend son bout de gras. Dans ce contexte, la démocratie ne peut aboutir qu'à des consensus qui finalement déplaisent à tout le Monde et ne protègent personnes. L'Europe démocratique ne peut pas parler d'une voie. Il faudrait donc passer à une dictature européenne. C'est c.. quand on pense que l'UE nous a été présenté à la base justement comme un bouclier contre la dictature.
Tout à fait, et pour illustrer cette difficulté, je vais reprendre ma théorie sur le triangle de Rodrik appliqué à l'Europe, que j'ai déjà énoncée par ailleurs.
En substance, Dani Rodrik nous enseigne que pour comprendre la mondialisation, il faut se référer à une sorte de trinité dans laquelle il faut choisir deux des trois éléments suivants (et donc en sacrifier un des trois) :
- la représentation démocratique des peuples,
- le respect de la souveraineté des Etats nationaux,
- l'intégration des marchés.
Il y a donc trois possibilités :
1) Sacrifier la représentation démocratique des peuples au profit de l'intégration des marchés et des Etats nationaux. C'est ce que Rodrik appelle "la camisole de force dorée", et c'est ce qui se rapproche le plus de la construction européenne actuelle. Dans un contexte d'intégration croissante des marchés, les Etats concèdent des parcelles de souveraineté mais continuent à se faire concurrence entre eux, avec notamment des pratiques de dumping social et fiscal et des initiatives diplomatiques isolées les unes des autres. A l'intérieur de chaque Etat, le constat est le même malgré les alternances politiques, le citoyen n'a plus grand-chose à dire.
2) Le fédéralisme global consiste à choisir la démocratie et l'intégration des marchés. Les Etats disparaissent, remplacés par des institutions fédérales dignes de ce nom et respectueuses de la volonté populaire. C'est l'exemple des EU.
3) L'exemple du compromis de Bretton-Woods : on garde la démocratie et les Etats, mais il faut alors accepter une moindre intégration des marchés. C'était comme ça jusque dans les années 80. Il y avait des accords internationaux, mais l'intégration des marchés était très relative, et les Etats pouvaient continuer à mener leurs propres politiques avec leurs propres institutions en réponse aux demandes de leurs citoyens.
Cette théorie peut tout à fait s'appliquer à la construction européenne (tout dépend du périmètre géographique retenu). Selon ce schéma, la construction européenne doit donc faire un des trois choix suivants :
- une marche forcée vers le fédéralisme, avec abandon des prérogatives nationales,
- sacrifier l'intégration des marchés (par exemple abandonner l'euro, ou restreindre la libre circulation des capitaux, des biens et des hommes,
- conserver la camisole de force dorée actuelle, dans laquelle la démocratie a été sacrifiée et où le citoyen n'a plus grand chose à dire.
La situation actuelle ne donne pas satisfaction.
La solution fédéraliste pourrait être intéressante, mais elle se heurte à une difficulté de taille : les Européens occupent peut-être un même continent, mais ils ont des traditions sociales, politiques, économiques très différentes d'un pays à l'autre. La France présente certains particularismes (laïcité, services publics, indépendance diplomatique, agriculture forte) et risque d'être mise en minorité sur ces différentes questions.
Bref, les Français ne trouveront probablement pas leur bonheur dans la solution fédérale, si bien que le fédéralisme risque de leur apparaître comme antidémocratique.
La troisième solution, c'est de l'Europe de la coopération entre Etats-nations, apparaît donc comme la plus réaliste, quoique moins ambitieuse en apparence.