C'est l'heure des comptes au Soudan du sud, et l'exercice ressemble plus à un bilan macabre temporaire qu'à une conclusion. Dans le pays, le nombre de morts n'est pas connu avec certitude. Des listes de victimes de massacres, concernant surtout des civils, sont en train d'être compilées par les groupes qui en ont été les victimes : essentiellement les Dinka (schématiquement, le groupe ethnique du président Salva Kiir), et les Nuer (celui de Riek Machar, son rival en politique, devenu rebelle installé en brousse où il dit vouloir continuer la « résistance »).
A début, les combats à Juba avaient opposé soldats loyalistes et soldats mutinés, avant de se transformer en massacre de civils. Des Nuer ont été visés et assassinés à Juba par les troupes loyalistes, ou par les forces de sécurité. La peur y règne encore, au point que la population qui s'est réfugiée dans les deux camps des Nations unies pour y chercher une protection ne diminue pas, mais augmente.
CASQUES BLEUS INDIENS TUÉS
Ensuite, d'autres massacres – touchant dans un premier temps, par mesure de rétorsion, des Dinka à Bor, notamment – se sont propagés dans d'autres villes du pays, jusqu'à Akobo, où des miliciens Nuer rendus fous de rage de voir les Nations unies évacuer des responsables dinka de peur qu'ils soient lynchés, avaient forcé en décembre l'entrée du camp de l'ONU sur place et tué des casques bleus indiens en même temps que des Dinka. A ce moment, la rébellion constituée de soldats (essentiellement Nuer) mutinés dans plusieurs garnisons, rejoints par les milices traditionnelles des zones Nuer et baptisée l'« armée blanche », semblait sur le point de bousculer sérieusement le pouvoir de Juba. Une descente vers la capitale ne semblait pas inenvisageable.
Début février, la tendance s'est inversée. Sur le terrain, le renversement a eu lieu dans les semaines écoulées. Alors que Salva Kiir n'avait plus qu'un moignon d'armée, il a réussi à reprendre l'avantage grâce à des alliés de la région, à commencer par l'appui déterminant des forces ougandaises, de groupes rebelles soudanais, mais aussi et en recrutant, autant que faire se peut (notamment dans les Equatoria), y compris des mineurs, tout comme les rebelles, du reste, comme ont pu le constater des sources de l'Unicef.
Les forces rebelles sur le terrain sont composées à la fois de troupes mutinées de Bor, de Malakal et Bentiu pour l'essentiel (avec quelques autres unités de Yei et de garnisons moins importantes) ; elles ont perdu les villes dans lesquelles la faiblesse de leur approvisionnement ne leur permettait pas de tenir face à la coalition loyalistes, les Ougandais appuyés par des blindés et leurs forces aériennes (ils ont bombardé des villes, comme Bor par exemple).
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Aucun des deux camps ne semble avoir abandonné l'option militaire. « On en est encore à un stade où c'est le tout ou rien qui domine », se désole un diplomate. Du côté du camp présidentiel, on continue de mettre en avant une lecture des événements consistant à avancer qu'un « coup d'Etat », mené par Riek Machar et les autres responsables politiques qui avaient pris position contre le président Kiir, serait à l'origine de toute la crise.
Or, aucun pays étranger, ni institution internationale, n'a validé cette hypothèse, à la grande colère de la présidence sud-soudanaise, qui s'estime « trahie par les étrangers », comme l'expriment plusieurs sources concordantes, et soupçonnent le camp de Riek Machar d'avoir noué des « liens secrets dans les capitales occidentales. »
PLUIES
Les pluies ont un avantage : même si elles embourbent l'aide humanitaire, elles mettent aussi fin aux grandes opérations militaires sur le terrain. Il ne reste donc que deux mois aux deux parties pour faire la différence, avant peut-être de songer à négocier plus sérieusement. Pour que les discussions avancent, encore faudra-t-il que les torts de chaque camp soient exposés de manière impartiale.
Des enquêtes sont en cours et un rapport sur les exactions et atrocités commises ces dernières semaines au Soudan du Sud par chaque camp devrait être présenté, selon une source haut placée, au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, à Genève, de façon à bien marquer la différence avec la Mission de l'ONU sur place (la Minuss), qui est en proie à de fortes pressions du gouvernement sud-soudanais.
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