La naissance d'une Cour Suprême ?

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Ilikeyourstyle
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Message non lu par Ilikeyourstyle » 12 mars 2011, 12:07:00

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Point de vue
La naissance d'une Cour suprême
LEMONDE.FR | 11.03.11 | 13h01  •  Mis à jour le 11.03.11 | 13h02

Les auteurs de la réforme de 1974 élargissant la saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires n'avaient pas conscience du fait qu'ils allaient profondément bouleverser tout à la fois le rôle de l'institution et la conception même de la loi. De la même façon, les promoteurs du contrôle de constitutionnalité a posteriori dans la réforme de 2008 ont sous-estimé l'onde de choc qu'est en train de produire la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, la désormais fameuse QPC, dont les effets vont bien au-delà d'une meilleure protection des droits et libertés garantis par la Constitution. Car ce qui se dessine aujourd'hui dans la douleur est la naissance d'une Cour suprême.
L'opportune QPC déposée avant même le début du procès intenté à Jacques Chirac par l'un des avocats de ses co-prévenus donne un éclairage particulier à la révolution silencieuse qui est en train d'avoir lieu dans l'office du juge constitutionnel. Dans cette affaire, que conteste l'auteur de la QPC ? Non pas une disposition législative, portant sur la prescription des abus de biens sociaux, mais son interprétation "constante" par la Cour de cassation. L'avocat ne remet pas en cause la loi, mais la jurisprudence. Le peut-il ? Le Conseil constitutionnel a répondu par l'affirmative à l'occasion de deux décisions d'octobre 2010. Dès lors que la QPC vise une disposition législative "applicable au litige", ce n'est pas un contrôle abstrait qui doit s'opérer, mais un contrôle qui porte sur le droit effectivement appliqué, c'est-à-dire le droit interprété par les juges.
Le raisonnement du Conseil constitutionnel n'est pas d'une folle originalité. Il reprend même, presque mot à mot, les termes d'un arrêt ancien (1953) de la Cour constitutionnelle italienne. Il est une réponse à la Cour de cassation qui se montre pour le moins réticente à transmettre des QPC qui contestent sa propre interprétation de la législation. Il est un épisode de la guerre – feutrée – des juges suprêmes qui oppose depuis longtemps déjà les deux institutions et qui a connu un net regain depuis qu'existe la QPC. Mais cet épisode est sans doute celui qui va faire basculer définitivement le rapport des forces en présence.
En décidant d'élargir son contrôle à "la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère" à une disposition législative, et grâce à l'autorité particulière que la Constitution (art. 62) attache à ses décisions, le Conseil constitutionnel s'est d'un coup transformé en Cour suprême, organe régulateur des interprétations de la loi produites par les organes juridictionnels judiciaire et administratif. Si dans sa grande sagesse, le Conseil n'a bien sûr pas manqué de rappeler que la Constitution ne lui confère pas "un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement", c'était pour mieux affirmer sa primauté sur la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. Désormais, le Conseil qui disposait déjà du pouvoir redoutable d'abroger la loi s'est octroyé le droit, et c'est là que s'opère le coup de force, de censurer l'interprétation qu'en donnent les juges judiciaires ou administratifs, c'est-à-dire aussi, le cas échéant, de la réinterpréter.
Tout cela, n'en déplaise aux esprits chagrins, est fort logique. Certains penseront, sans doute à raison, que les constituants de 2008 ont joué aux apprentis sorciers en offrant au Conseil constitutionnel le pouvoir de contrôler du droit vivant. Mais c'est trop tard. Et d'ailleurs l'histoire montre qu'il est impossible de brider véritablement une juridiction constitutionnelle chargée de la protection des droits fondamentaux.
LA COMPOSITION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Reste qu'il n'est plus possible de conserver en l'état la composition du Conseil constitutionnel. On voit mal comment le Conseil peut prétendre détricoter la jurisprudence des plus hauts magistrats de la République lorsque sa composition fait la part belle à des hommes politiques à la retraite, qui doivent leur fonction au fait du prince plus qu'à leur compétence constitutionnelle et juridique. Il n'est sans doute pas nécessaire de mettre des conditions trop strictes à l'occupation des fonctions de conseiller constitutionnel. La nécessité que leur nomination soit expressément approuvée par une majorité qualifiée de parlementaires, par exemple les trois cinquièmes des députés et sénateurs, devrait être un filtre suffisant. En revanche, compte tenu de l'ampleur de leur nouvelle tâche et de la variété des questions juridiques rencontrées, il serait éminemment souhaitable qu'ils disposent, comme les juges de la Cour de justice de l'Union européenne, d'assistants spécialisés, des référendaires, attachés à leur personne.
C'est aussi le mécanisme même au terme duquel une QPC est transmise (ou pas) au Conseil qui doit être revu. Dès lors que la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation est susceptible d'être contrôlée, on voit mal comment ces deux cours peuvent assurer sereinement le filtre des QPC, d'autant que certains critères de filtrage – le caractère "nouveau" ou "sérieux" de la question posée – pèchent déjà par leur imprécision. Dans le système actuel nous nous acheminons vers une aggravation de la guerre des juges, au détriment bien sûr des justiciables. Le juge chargé du litige qui a suscité la QPC devrait assurer un premier filtre – pour éliminer les questions grossièrement dilatoires – et transmettre ensuite directement la requête au Conseil constitutionnel, sans que la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat n'aient à intervenir.
Si l'on veut que cette nouvelle Cour suprême ne fonctionne pas seulement comme un oracle surpuissant mais comme un organe démocratique, il faudra de surcroît accorder à ses membres le droit de produire des "opinions dissidentes" : ses décisions y gagneront en qualité et en légitimité.
Bastien François, professeur à l'université Paris-I - Panthéon-Sorbonne

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Ilikeyourstyle
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Message non lu par Ilikeyourstyle » 12 mars 2011, 12:09:00

Question très intéressante que cette histoire de QPC et le rôle du Conseil Constitutionnel dans ces affaires. Avis des éminents juristes du Forum ? 

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El Fredo
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Message non lu par El Fredo » 12 mars 2011, 12:12:00

L'ironie de l'histoire c'est que cette QPC, conçue au départ comme un susucre politique pour faire passer la très contestée réforme constitutionnelle de 2012 (avec le toujours pas appliqué référendum d'initiative parlementaire) puisse au final se révéler la plus grande avancée démocratique de ces dernières décennies. A l'insu du plein gré de ses instigateurs.
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Nombrilist
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Message non lu par Nombrilist » 12 mars 2011, 12:16:00

Il est clair que la nomination du CC n'a rien de démocratique et que les personnes "recrutées" ne le sont pas sur leurs compétences. D'ailleurs, ça me fait très peur que Sarkozy en fasse bientôt parti, lui le champion de France des propositions anticonstitutionnelles.

lancelot
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Message non lu par lancelot » 12 mars 2011, 13:18:00

Si il est clair que le CC a vocation à garantir la constitutionnalité des textes, sa saisine par le commun des mortels lors d'une procédure amènera celui ci (si la cour de cass le décide) à amender éventuellement la jurisprudence actuelle de la cour de cassation. il s'agit donc bien dans ce cas d'une sorte de cour suprême.

C'est à la fois un droit nouveau pour le justiciable et une source de retards dans les procédures pour ceux qui seraient tentés d'en user à ces fins.

Une grande question se pose tout de même .... ???

Celle du choix des membres du CC.  Je vois effectivement assez mal sarko en juge .... suprême.

Sa composition ne peut être le reflet du pouvoir en place, ni de celui de l'opposition, pour les mêmes raisons.

Qui nommer au CC ?  Des juges ?

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Ilikeyourstyle
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Message non lu par Ilikeyourstyle » 12 mars 2011, 13:28:00

lancelot a écrit :Si il est clair que le CC a vocation à garantir la constitutionnalité des textes, sa saisine par le commun des mortels lors d'une procédure amènera celui ci (si la cour de cass le décide) à amender éventuellement la jurisprudence actuelle de la cour de cassation. il s'agit donc bien dans ce cas d'une sorte de cour suprême.

C'est à la fois un droit nouveau pour le justiciable et une source de retards dans les procédures pour ceux qui seraient tentés d'en user à ces fins.

Une grande question se pose tout de même .... ???

Celle du choix des membres du CC.  Je vois effectivement assez mal sarko en juge .... suprême.

Sa composition ne peut être le reflet du pouvoir en place, ni de celui de l'opposition, pour les mêmes raisons.

Qui nommer au CC ?  Des juges ?
J'aurais tendance à dire qu'il faut les faire élire par les parlementaires et parmi un corpus de magistrats et avocats professionnels et eux-même jamais élus.  

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johanono
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Message non lu par johanono » 12 mars 2011, 13:42:00

Aux origines de la 5e République, le CC avait uniquement pour rôle de trancher les conflits de compétences entre le Parlement (pouvoir législatif) et le Gouvernement (pouvoir exécutif). En effet, suite aux dérives connues sous les 3e et 4e Républiques, qui avaient vu le Parlement légiférer sur de trop nombreuses questions, la Constitution de la Ve République avait redéfini les domaines de compétence du Parlement et du Gouvernement, en limitant celui du Parlement par rapport à ce qui existait avant. Le CC avait donc vocation à faire respecter cette nouvelle répartition de compétences, notamment en censurant les lois votées par le Parlement dans le domaine de compétence du Gouvernement. 

La grande révolution a eu lieu en 1971, avec la décision "Liberté d'association". Dans cette décision, le CC a dit que le préambule de la Constitution de 1946 et la DDHC de 1789, auxquels le préambule de la Constitution de 1958 se contente de faire vaguement référence, ont une pleine valeur constitutionnelle. En outre, le préambule de 1946 faisant lui-même référence aux "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" (schématiquement, certains grands principes tels que la liberté d'association, proclamés par quelques grandes lois votées sous la 3e République), ces principes se sont donc également vu octroyer une valeur constitutionnelle. Autrement dit, le CC peut désormais censurer des lois sous prétexte que, selon lui, elles violent les principes établis par le préambule de la Constitution de 1946 et la DDHC de 1789, et également les "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République". Ce faisant, le CC, qui avait jusqu'alors un rôle "technique" destiné à veiller à la stricte répartition des compétences entre le Gouvernement et le Parlement, se pose désormais en quelque sorte en gardien des libertés fondamentales, ce qui accroît son pouvoir. Cette décision n'allait pas de soi à l'époque, si bien que beaucoup de juristes ont parlé de "coup d'Etat juridique". 

Bien sûr, l'élargissement de son mode de saisine (d'abord en 1974 puis en 2008) n'ont fait qu'accroître les possibilités d'intervention, donc les pouvoirs, du CC. 

Il est tentant de voir dans ce rôle accru du CC un progrès pour la démocratie et les libertés fondamentales. Le problème, c'est que le droit n'est pas toujours une science exacte. La DDHC de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, ne proclament quelques grands principes, qui ont aujourd'hui une valeur constitutionnelle, mais dont l'interprétation est tout à fait subjective. Suivant l'orientation politique que l'on a, on n'aura pas la même conception de certains principes énoncés dans ces documents, tels que l'égalité ou le refus des discriminations. Et quels sont les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? Là encore, la réponse ne va pas de soi. Le débat est fondamentalement politique, il doit être tranché par les élus, pas par des magistrats. C'est pourquoi il aurait été choquant que le CC, au nom de je ne sais quel principe à valeur constitutionnelle, décide d'autoriser le mariage homosexuel. Le CC a fait preuve de sagesse dans cette histoire, tant mieux, mais le problème demeure. 

S'agissant du mode de nomination, aucun système n'est parfait. Il faut cependant souligner qu'aux EU, les membres de la Cour suprême sont également nommés par le Président.

lancelot
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Message non lu par lancelot » 12 mars 2011, 14:03:00

Certes mais si le droit n'est pas une science exacte, que dire du droit rendu par des politiques ?

Il ne peut être que pire.



 
J'aurais tendance à dire qu'il faut les faire élire par les parlementaires et parmi un corpus de magistrats et avocats professionnels et eux-même jamais élus.  
Pourquoi pas ?

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El Fredo
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Message non lu par El Fredo » 12 mars 2011, 14:15:00

Ilikeyourstyle a écrit :J'aurais tendance à dire qu'il faut les faire élire par les parlementaires et parmi un corpus de magistrats et avocats professionnels et eux-même jamais élus.  
Je ne sais pas. Après tout les juges de la Cour Suprême US sont désignés par le POTUS, ce qui ne les empêche pas de se montrer indépendants. Il faut dire que la fonction est prestigieuse et visible dans l'opinion et que ceci impose une certaine probité de leur part.
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avatabanana
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Message non lu par avatabanana » 12 mars 2011, 18:23:00

Cela ne me choque pas que la jurisprudence puisse être contrôlée.

Ce n'est que de l'appréciation humaine d'un texte pas assez précis (volontairement ou non).


Dès lors que la loi elle-même, pourtant votée par les représentants du peuple, est contrôlable alors pourquoi pas la décision d'un seul (qui ne représente  que lui).



Cela dit il est vrai qu'un niveau de compétence s'avère nécessaire.

Aussi je serai plutôt partisan de renforcer les membres actuels du CC par une bardé d'experts.

N'y placer que des juges me semble dangereux.

On abandonne là, le rôle de technicien (pour lequel nos juge ont été formés) pour rejoindre celui du législateur (puisque leurs décisions auront de fait l'autorité de la loi)

Certes il ne faudra pas nommer des crêpes. Je pense qu'une procédure de désignation inspirée de celle utilisée aux USA (voire chez nous depuis 2008) à savoir une désignation par le PdR (représentant du peuple) contrôler par le véto du parlement (représentants du peuple) avec un seuil de 75% nécessitant un consensus fort, serait une bonne solution.

Par contre pas de désignation à vie comme aux USA c'est trop sclérosant.

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El Fredo
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Message non lu par El Fredo » 12 mars 2011, 21:54:00

Le CC dispose déjà d'une structure composée de juristes professionnels, qui font l'essentiel du boulot décidé ensuite par le Conseil proprement dit. Donc la partie technique est déjà prise en charge, heureusement.
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Message non lu par lancelot » 12 mars 2011, 23:11:00

Dans ces conditions ... il devrait être possible de trouver consensus.

Cela étant ... dans le cadre de la procédure, j'avoue ne pas avoir analysé les conséquences d'une décision du CC sur une jurisprudence.
Normalement c'est un autre procès en appel, avec une cour autrement formée.

Mais  dans ce cas, qui , en droit, aura le dernier mot ?

 

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GIBET
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Message non lu par GIBET » 16 mars 2011, 04:13:00

Pour ma part je ne sais pas si cette aventure du CC sera un progrès;
Jusqu'à présent le CC se constituait soit en conseil pour donner un avis consultatif lorsqu'il était sollicité , soit en assemblée plénière émettant des décisions sur la constitutionnalité des textes parlementaires ou exécutifs.
Ce contrôle de la loi me paraissait peu compatible avec une assemblée contrôlant la justice dans un État ou la séparation des pouvoirs s'est voulu très tranchée.
Je ne suis pas certains que les sages gagneront en sagesse s'ils doivent juger sans arrêt sur des QPC, et a fortiori sur l'examen des jurisprudences.
Il y a là un précédent qui me parait préjudiciable
Introduire des professeurs ce sera introduire des "écoles" là où l'expertise était extérieures et la décision était de bon sens argumenté.
On réforme par accident en ce moment, c'est à dire que l'on mesure les impacts de la réforme ...quand elle est faite!
C'est le sens qu'à voulu donner Sarkozy aux réformes.
Une Cour Suprême était peut-être nécessaire ...mais différente du CC!
Dommage
GIBET
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