Plaidoirie de Gérard Christo l: Affaire Bissonnet

Venez nous parler de notre justice française ( les prisons, les procès en cours... )
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Cobalt

Message non lu par Cobalt » 09 févr. 2011, 17:20:00

Affaire Bissonnet: la vie, au plus juste
Vous n’aurez pas l’image, pas le visage aux longs cheveux blancs lissés en arrière et à la barbe tout aussi blanche, pas les sourcils en accent circonflexe sur des yeux qui ont beaucoup vu de la vie, pas les gestes souples, aussi doux que les mots, pas l’accent occitan, pas les intonations de la voix, tour à tour drôle, sévère, mais toujours profonde. Vous n’aurez que les mots notés aussi fidèlement que possible sur le carnet.

Encore une chose: la plaidoirie que vient de prononcer Me Gérard Christol, qui avec sa fille Iris, assure la défense de Meziane Belkacem, est le premier et le seul beau moment d’audience de ce procès qui dure depuis plus de quatre semaines. Qui n’a été que tension, incompréhension, haine et violence. Que l’on avait quitté la veille dans la colère après un réquisitoire indigne. Cela tient au talent d’un avocat, à son expérience, à sa stupéfiante liberté. En une heure et demie, Me Christol a réconcilié avec ce que l’on attend d’un procès d’assises: le juste, l’humain, la vie.
Ecoutez-le.

- Il aurait suffi d’un mot, d’un murmure, pour que tout prenne sa place. Il y a une explication à tout. ça ne justifie rien, ça ne pardonne rien, mais ça explique. Bien sûr, il y aurait de la douleur. Mais chaque chose serait à sa place, dans la clarté. Ce mot ne viendra peut-être jamais.
Il se tourne vers la salle. Regarde les bancs du public où s’est massé le comité de soutien à Jean-Michel Bissonnet.
- Je suis peut-être plus ému par cette partie de la salle que par celle-ci [il montre le box]. Par ces gens qui ont leur conviction chevillée au corps. Il y a des choses indicibles, tellement difficiles à appréhender, que l’on dit “non”.

Eh bien, si. Dans cette salle d’assises, depuis 45 ans, je vois des choses qui, la veille, étaient impossibles. Une mère ne tue pas ses enfants? Si. Un père n’étrangle pas et n’éviscère pas ses enfants? Si.
L’humanité n’est pas faite que de cela, mais aussi de cela. Elle est faite d’albums photo merveilleux, aussi. Mais dans la vie, comme dans une maison, il n’y a pas que le salon, il y a aussi la cave et le grenier. Les amis de Jean-Michel Bissonnet sont restés dans le salon.

Je crois que ces amis sont sincères. Qu’ils croient ce qu’ils veulent croire. Parce qu’il leur est impossible de croire autre chose.
Mais faut-il rappeler ici que la grandeur d’un homme, c’est sa fragilité? Pas sa force, pas  son apparence, pas la façade!
Ce qui est terrifiant dans cette affaire, c’est que ces amis sont venus nous dire: on assemble les pièces du puzzle et ça ne colle pas. Si, ça colle. Oui, Jean-Michel Bissonnet a organisé l’assassinat de sa femme. Alors, eux, ils préfèrent jeter le puzzle.

Je n’ai pas besoin de lire les 35.000 pages du dossier. J’ai une conviction qui est assise sur ce que je sais des choses de la vie. Du mal et de la capacité que l’on a à le nier.
Il se tourne vers Amaury d’Harcourt.
- Il était un jour un personnage sorti d’une bande dessinée. Lui, contrairement à Jean-Michel Bissonnet et à Meziane Belkacem qui ont des points communs extraordinaires, qui doivent monter, réussir, faire une carrière, avoir de l’argent, lui, eh bien, il ne rêve que de descendre. Des héros, des généraux, des maréchaux, il a tout cela dans ses ascendants. Il épouse une première femme somptueusement belle et richissime. Il la quitte. Il n’en a rien à faire.

Il n’est pas né pour assumer des responsabilités. Parce que, dans une famille comme la sienne, c’est l’aîné qui assume. Il est le cadet.
Alors, ce  sera l’Afrique, la transgression, les femmes, beaucoup de femmes, chercheur d’or, enregistreur de musique subsaharienne, c’est quand même mieux que de prendre le thé à Chambord!
Amaury d’Harcourt ne vit que pour la jouissance et pour séduction. Celle qu’il opère sur les autres - sans doute un peu plus hier qu’aujourd’hui - et celle que les autres exercent sur lui. On lui prête des mobiles d’argent? Mais c’est totalement le méconnaître!

Imaginer, comme on a tenté de vous le faire croire, qu’un jour, un Meziane Belkacem en colère parce que Jean-Michel Bissonnet lui aurait refusé un prêt, se serait tourné vers le vicomte pour lui demander: “et vous, vous ne me feriez pas un prêt”, c’est à peu près comme si, à Versailles, un jardinier croisant Louis XV, lui demandait: “t’as pas cent balles?”.
Cet homme, ce vicomte, Bernadette Bissonnet ne l’aime pas. Parce que, entre eux, c’est l’incompréhension absolue. Ce n’est pas tant parce qu’elle craint que son mari ne lui donne trop d’argent! Elle connaît suffisamment son mari pour savoir qu’il ne donne que ce qu’il peut récupérer. Certes, il peut donner au Rotary pour acheter des lunettes à un aveugle, mais ça ne va pas plus loin!
Ce que cette femme a compris, c’est que Amaury d’Harcourt donne à son mari le superflu. Ce superflu qui est l’essentiel. Elle ne veut pas chez elle de cet être indéfinissable, approximatif, qui avait tout et qui n’a plus rien. Parce que ça, pour Bernadette Bissonnet, c’st suspect! On ne peut pas faire partie des trois plus grandes familles de France et s’habiller en pantalon de gardian, rouler dans une petite voiture qui a cent ans, habiter non pas dans le château familial mais dans les dépendances réservées au fermier et préférer à la fortune un déjeuner avec une ravissante créature à laquelle on offre un cuisseau de marcassin.

Pour l’âme rationnelle de Bernadette Bissonnet, tout cela c’est impossible.

Et puis, il y a Jean-Michel Bissonnet. Cet homme qui, grâce à son travail, son courage, sa méticulosité, sa rigueur, est arrivé là où il le souhaitait. Avec les conseils avisés de sa femme et sous le regard - et ce n’est pas rien - du père de Bernadette, Pierre Juan. Lui qui n’aurait pas supporté l’idée d’un divorce. Pour l’avoir fait, le frère de Bernadette en sait quelque chose. Parce que, comme cela a été dit ici, “chez les Juan, on ne divorce pas”.
A partir de là, toutes les portes sont fermées à Jean-Michel Bissonnet. Celles des petites fantaisies, de l’adultère, des cabrioles diverses et variées que des épouses souvent plus compréhensives laissent faire. Je ne crois pas que ce soit le cas de Bernadette Bissonnet.

Soyons clair, je ne voudrais blesser personne. Mais Jean-Michel Bissonnet a été dominé toute sa vie par une maîtresse femme remarquable.

Il dirige les sociétés. Mais c’est elle qui fait les comptes au crayon de papier. Bien sûr qu’il ne va pas dire que ça lui pèse. Quand il va à la chasse avec son ami le samedi, il ne reste pas pour l’apéro, ni pour le déjeuner. Il rentre déjeuner à la maison avec Bernadette et les enfants. Bien sûr qu’il va vous dire que c’est pour ses enfants, que c’est son bonheur. Peut-il dire autre chose?
Vous ne m’entendrez pas dire que Jean-Michel Bissonnet détestait sa femme. Il avait pour elle de l’admiration, énormément d’admiration. Mais il y avait ce petit espace qui lui manquait. Car chez les Bissonnet, rien ne devait clocher, la maisonnée devait être intacte, sous l’oeil du grand-père et des enfants. Il y a même eu ici, un ami de Jean-Michel Bissonnet qui est venu vous dire que leur couple était à l’image de leur jardin, impeccable et magnifique…

Et le divorce est impossible. Voyez-vous, depuis trois ans, j’entends des gens dire: “mais cette affaire n’est pas compréhensible. Il suffisait de divorcer, le divorce, c’est simple. Non, le divorce ce n’est pas simple. Quand il faut dire à des enfants que l’on aime, je m’en vais. Quand il faut dire à M. Juan père, votre fille est merveilleuse, le lit que je partage avec elle est merveilleux, mais je m’en vais. Vous croyez que c’est simple? Que c’est facile? Quand il va falloir affronter le regard des amis qui estiment tous que Bernadette Bissonnet est une femme exceptionnelle et qui vont dire: “mais Jean-Michel, tu es fou? on ne quitte pas Bernadette! Et as-tu pensé à tes enfants!”

Pour moi, ce mobile là, il est beaucoup plus important que l’argent qu’il aurait craint de perdre dans un divorce.

Dans la vie, comme dans les maisons, il faut des fenêtres, pour que l’air circule un peu. Cet air, Jean-Michel Bissonnet va le trouver sur internet, les sites sado-maso, Meetic, pour rêver d’éventuelles rencontres.  Quelle tristesse! Songer que cet homme n’a même pas une secrétaire à Paris qui ne serait pas seulement une secrétaire, comme cela arrive à tout le monde!
Alors, les choses vont commencer à mûrir. Lentement. Jean-Michel Bissonnet va dire de temps à autre, sur le ton de la boutade: “ma femme, je vais la tuer”. C’est virtuel, mais c’est dit.
Et puis, il va en parler à Meziane Belkacem. “Tu connaîtrais pas quelqu’un qui pourrait faire un contrat?”. C’est n’importe quoi, mais c’est encore dit. Ah, il n’en parle pas aux amis du Rotary, bien sûr! Il en parle à Amaury d’Harcourt. Et celui-là lui répond: “tu n’as quà divorcer”. Comment pourrait-il comprendre, Amaury d’Harcourt, qui a divorcé trois fois, que pour Jean-Michel Bissonnet, le divorce est impossible.

Et les choses se sont accélérées. On arrive au 11 mars. Jean-Michel Bissonnet a rêvé la disparition de sa femme à laquelle il n’aurait aucune part. Il va imaginer un scénario dans lequel il ne serait pas. La pièce se joue sur une scène, avec l’exécutant, Meziane Belkacem et l’instructeur, Amaury d’Harcourt et lui, il est dans la salle. Il veut à tout prix cette mise à distance. Car il ne déteste pas assez sa femme pour être en première ligne.

Alors oui, tout est allé très vite. Parce que si on avait laissé passer les heures, l’assassinat n’aurait pas eu lieu. Parce que quand on roule très vite sur une route bordée de platanes, on ne voit pas les platanes. Mais si on roule doucement, on peut les compter, un par un.
Le génie de Jean-Michel Bissonnet, c’est d’utiliser ces deux autres, l’Arabe et le saltimbanque. Un tueur professionnel, ce serait son prolongement direct. Et cela, il ne peut pas l’accepter. Et puis, personne ne pourra imaginer que lui, le grand Jean-Michel Bissonnet qui a si bien réussi sa vie professionnelle, qui a toujours fait preuve d’une rigueur extrême, s’est adressé à des guignols pour faire tuer sa femme. Et puis, si ça tourne mal, qui pourra douter de la parole de Jean-Michel Bissonnet? Qui croira l’Arabe de service?
Gérard Christol regarde le box, déserté depuis deux jours par Jean-Michel Bissonnet.

- Aujourd’hui, Jean-Michel Bissonnet n’est pas là. Le vicomte, assis sur un fauteuil Voltaire, est là. L’Arabe de service est dans le box des accusés. C’est ainsi que la pièce était voulue. C’est ainsi qu’elle s’est jouée. C’est ainsi qu’elle devait se terminer. Mais les choses ne se sont pas passées comme cela.
Me Christol a terminé sa plaidoirie. Il se tourne vers les jurés.

- J’ai toujours souhaité qu’à la fin d’une affaire criminelle, quand les uns et les autres nous redescendons les marches du palais, nous le faisions avec une certaine paix parce que les choses sont en place. Mesdames et Messieurs les jurés, cette paix, je vous la souhaite. Je vous fais confiance.

Je ne sais pas qu 'elle est le verdict,mais dans le cas des jurés je n'aurai pas été ému.

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johanono
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Message non lu par johanono » 09 févr. 2011, 19:43:00

Et quel est l'intérêt de ce topic ? 

Invité

Message non lu par Invité » 09 févr. 2011, 20:13:00

J'avais envie de le dire invision:

Cobalt

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