Contexte actuel : L’Assemblée nationale est actuellement élue tous les cinq au suffrage universel uninominal majoritaire à deux tours. Concrètement, cela signifie que le candidat qui recueille 50 % des voix + 1 voix et qu’il remplit en même temps la condition des 25 % des électeurs inscrits de l’ensemble de sa circonscription, est élu député. Si aucun candidat n’y parvient, un second tour est organisé entre tous les candidats qui ont recueilli au moins 12.5 % des inscrits (depuis une réforme de Sarkozy de 2011) décidant de se maintenir ou à défaut, entre les deux premiers. En triangulaire, le candidat arrivé en tête, même en majorité relative (< 50 %), est élu. En duel, c’est celui qui a la majorité absolue (> 50 %) qui est élu.
Pourquoi réformer ce mode de scrutin ? : Le mode de scrutin actuel a tous les vices qu’il convient de lister.
- Scrutin majoritaire : Par définition, le scrutin majoritaire est celui qui représente le moins d’électeurs puisqu’il ne représente qu’une majorité (parfois relative) d’entre eux alors que la proportionnelle tend à représenter le maximum, au prorata du nombre de voix et que le scrutin préférentiel vise – on le verra plus tard – à élire celui qui plait le plus.
- Deux tours pour rectifier le vote de Français qui auraient "mal voté" : Le système à deux tours empêche de voter par conviction et uniquement par stratégie. Le seuil élevé de 12.5 % des inscrits nécessaire pour se maintenir au second tour est une condition bien trop contraignante pour la majorité des candidats. L’entre-deux-tours est la période de toutes les magouilles possibles, de tous les désistements stratégiques… Le pouvoir peut assez facilement renverser la tendance du premier tour au second, tout en faisant croire à l’expression libre et démocratique des citoyens. Dans une élection, tout se joue à un tour. En décréter deux, c’est avoir peur des urnes.
- Gerrymandering : 577 députés et autant de circonscriptions. Ce n’est pas le record mais en tout cas, ce nombre est suffisamment important pour que les circonscriptions soient de la taille d’une baronnie locale : du quartier d’une grande ville à une intercommunalité. Je ne parle même pas des circonscriptions des Français de l’étranger créées par Sarkozy pour 2012 qui sont un non-sens complètement stupide. La délimitation des circonscriptions, bien que sujette à des conditions plus strictes qu’aux Etats-Unis, est un problème démocratique puisque ce sont les députés eux-mêmes qui ont la main sur ce sujet. Le principe du gerrymandering consiste à dessiner une carte électorale afin de favoriser une formation politique. Si la circonscription fait la taille d’une grande commune, il est évident que si le maire de ladite commune se présente, il sera largement favorisé. Or, le mayorat et la députation sont deux fonctions bien différentes. Le non-cumul des mandats voulu par Hollande résout partiellement le problème car les barons locaux peuvent continuer à se présenter tant qu’ils abandonnent un mandat exécutif.
- Frais d’impression à la charge des candidats : Les règles électorales sur ce sujet sont staliniennes. Un bulletin doit être imprimé de cette manière, avec cette écriture, dans cette disposition, sur ce papier, avec cette encre et dans cette quantité. Tout cela coûte énormément d’argent pour du papier qui sera jeté à la poubelle, sans parler du désastre écologique… mais aussi démocratique. En effet, qui peut se permettre d’imprimer 100 000 bulletins de vote au nom du candidat dans chaque circonscription ? Les grandes formations. Les petits doivent se contenter d’inviter les électeurs à imprimer eux-mêmes le candidat. Mais attention, si le papier ne convient pas… hop, le bulletin imprimé par l’électeur finit en vote nul. L’instauration d’un bulletin unique, imprimé par l’Etat (qui coûte moins cher que le remboursement de l’Etat des frais de campagne… et d’impression) est une nécessité économique, démocratique, écologique.
- Scrutin uninominal : On n’élit qu’une personne à la députation. Cela a des avantages et des inconvénients. L’avantage, c’est que l’on peut exclure des barons locaux qui se seraient mis en pole position avec un scrutin de liste. L’inconvénient, c’est que c’est en pratique très difficile. Autre inconvénient : les personnalités prennent le pas sur les idées.
Une alternative : le vote préférentiel. Le principe est simple : les électeurs classent par ordre de préférence les candidats de leur circonscription. Le candidat qui a reçu le plus d’avis positifs est élu. Autrement dit, un électeur vote autant de fois qu’il y a de candidats. Ce mode de scrutin est appliqué notamment en Irlande et en Australie… mais très différemment ! Il est nécessaire d’adopter une application à l’irlandaise pour les raisons suivantes :
- Des circonscriptions plus grandes : L’un des cancers de la France, c’est sa multiplicité de baronnies locales. Des députés-maires-conseils-départementaux-conseils-régionaux-présidents-d’intercommunalité qui ont le bras très long et qui peuvent persuader même le moins convaincu de voter pour eux en mettant par exemple le dossier de logement social en haut de la pile dans la commission d’attributions aux logements… ou en octroyant un petit boulot au sein de la mairie. Il y a toujours de la place quand on veut. Moins la circonscription est grande, plus la baronnie peut être puissante. En revanche, plus elle est grande, moins les barons locaux peuvent exercer une influence. C’est ce qui différencie l’Australie de l’Irlande : la première a de petites circonscriptions, la seconde en a des grandes.
- Plusieurs élus par circonscription : Autre différence entre les deux pays, l’Australie n’élit qu’un député par circonscription, l’Irlande peut en élire 5. De fait, en Australie, le mode de scrutin ressemble beaucoup au nôtre (il est pratiquement majoritaire) tandis qu’en Irlande, il permet aux non-barons d’être élus (il est préférentiel). Sans entrer dans les détails, voilà comment un dépouillement s’effectue en Irlande : on décompte une première fois tous les bulletins et on note le candidat qui a été le moins souvent placé en première position. Celui-ci est éliminé mais les bulletins continuent de compter : on regarde quel candidat a été placé en seconde position et on lui octroie les bulletins. Le candidat qui apparaît le moins souvent en seconde position est éliminé. Et ainsi de suite. Les dépouillements peuvent prendre des heures… mais que représentent quelques heures de dépouillement pour une législature de 5 ans ?
- Atténuation du gerrymandering : Le vote préférentiel implique nécessairement une délimitation de circonscriptions. Mais cela n’est pas forcément un mal. La majorité des pays qui ont adopté un scrutin proportionnel en ont, afin de pouvoir représenter les identités régionales. Les circonscriptions deviennent un problème quand elles concernent un nombre ultra-réduit d’élus et qu’elles sont trop petites, trop centrées.
- Bulletin unique : Puisqu’on demande de classer les candidats par ordre de préférence, le bulletin est forcément le même pour tous les électeurs ! Si le mode de scrutin est proportionnel, ce n’est pas toujours le cas. Aux européennes, on impose ainsi les mêmes conditions électorales stupides que pour les autres élections.
- Fin de la dictature des partis : On exige de l’électeur qu’il analyse bien l’ensemble des candidats. Contrairement à la proportionnelle, il ne raisonne plus seulement en termes de partis politiques. Et contrairement au scrutin majoritaire, il peut faire son choix sur plusieurs candidats. Les candidats indépendants sont largement avantagés dans ce système.
- Un seul tour mais possibilité de limiter la casse : L’électeur ne vote qu’une seule fois mais il peut par la même occasion désavantager les candidats qu’il n’apprécie pas alors que dans le scrutin proportionnel, ce pouvoir n’existe pas et que dans le scrutin majoritaire à deux tours, on ne fait qu’éliminer sans adhérer.
- Stabilité parlementaire : Le vote préférentiel permet une stabilité parlementaire, qui fait tant peur à certains opposants à la proportionnelle.