Altice : les limites d'une machine à "deals"
Après un mois de dégringolade boursière, Patrick Drahi doit prouver qu’il peut développer son groupe autrement qu’en rachetant des concurrents. Un impératif pour rassurer les marchés, inquiets de sa…
Dans le monde des affaires, la confiance n'est jamais définitivement acquise. Patrick Drahi en sait quelque chose. Ancien chouchou des investisseurs et des banquiers, qui lui prêtaient sans compter des milliards pour assouvir sa boulimie d'acquisitions, le fondateur et propriétaire d'Altice est devenu, pour beaucoup, une source d'inquiétude. Depuis le 2 novembre et la publication de nouveaux résultats trimestriels décevants, le titre du géant des télécoms et des médias s'est écroulé de plus de 55 % à la Bourse d'Amsterdam. Dans le même temps, le groupe a brûlé plus de la moitié de sa capitalisation boursière, qui navigue désormais sous les 10 milliards d'euros.
Après cette gifle, qui a largement sanctionné les mauvais résultats de SFR - confronté à une hémorragie de clients depuis son rachat par Altice en 2014 (environ 2,5 millions dans le mobile et l'Internet fixe) -, beaucoup s'interrogent sur la viabilité du groupe. La maison mère du deuxième opérateur télécoms français, de Portugal Telecom, des câblo-opérateurs américains Suddenlink et Cablevision, de Hot en Israël, de BFM-TV, de
Libération et de
L'Express, va-t-elle exploser en vol ? Sera-t-elle capable de rembourser son énorme dette de plus de 50 milliards d'euros ? Patrick Drahi a-t-il réveillé le fantôme de Jean-Marie Messier, qui a mené Vivendi Universal à sa perte dans les années 1990-2000, en faisant, comme lui, le pari de la convergence entre les télécoms et les médias ? S'il est sans doute trop tôt pour envisager le pire, la défiance des marchés sonne a minima comme un sévère avertissement. Elle constitue aussi un révélateur des difficultés d'Altice à gérer un empire bâti à toute vitesse et à coups d'acquisitions monstre.
De fait, cette sanction vient d'abord de mettre un coup d'arrêt à une énorme machine à
deals. Mi-novembre, en pleine tempête boursière, Patrick Drahi a été on ne peut plus clair, lors d'une conférence à Barcelone : fini les coûteuses emplettes à crédit, et priorité au désendettement. Si cette décision apparaît évidente dans le climat actuel, elle constitue néanmoins un sacré revirement. L'introduction d'Altice à la Bourse d'Amsterdam en 2014, puis celle de sa filiale Altice USA à Wall Street au printemps dernier, n'avaient qu'un objectif : armer le groupe pour poursuivre ses acquisitions, en particulier aux États-Unis où Altice est numéro 4 du câble. À l'inverse, pour se renflouer, Patrick Drahi s'est résolu à céder des actifs. Altice chercherait notamment à se séparer de son opérateur en République dominicaine. Il a aussi indiqué chercher des repreneurs pour ses activités « B to B » en Suisse et ses pylônes de téléphonie mobile en France comme au Portugal. D'après nos informations, ces cessions pourraient lui rapporter entre 5 et 6 milliards d'euros.
Retour du commando de fidèles
Après la dégringolade boursière d'Altice, Patrick Drahi a aussi repris les rênes du groupe. Il a remercié Michel Combes, jusqu'alors DG d'Altice et PDG de SFR, et a replacé ses vieux compagnons aux postes clés. Le patron d'Altice USA, Dexter Goei, a été nommé à la direction générale d'Altice. Actionnaire historique d'Altice aux côtés de Patrick Drahi, et réputé intraitable pour « chasser les coûts », Armando Pereira a pris la tête de toutes les activités télécoms. Quant à Alain Weill, le chef de file des médias du groupe, il a été bombardé PDG de SFR. S'il n'a pas la culture télécoms des autres dirigeants, son rôle sera surtout, au-delà de la gestion des contenus, de jouer le responsable des relations publiques en France. Après s'être mis en retrait, Patrick Drahi est revenu en première ligne en prenant la présidence du conseil d'administration du groupe.
En ramenant sa garde rapprochée à la tête d'Altice, Patrick Drahi envoie un signal fort. « Il recrée autour de lui le "commando" de fidèles qui a permis à Altice de croître très rapidement par le passé, explique une source proche du groupe. Ces dernières années, Altice avait perdu l'agilité originelle qui a longtemps fait sa force. Le secret d'Altice, par rapport à d'autres grandes sociétés qui mettent six mois à prendre une décision, était d'aller très vite, quitte à corriger en cas d'erreur, mais de toujours avancer. »
Reste que la perte de cette « agilité originelle » est révélatrice des difficultés de Patrick Drahi à gérer un groupe qui a grandi à une vitesse ahurissante. De quelques milliers de collaborateurs, essentiellement en France, en 2014, Altice en compte désormais 50 000 des deux côtés de l'Atlantique. Dès l'acquisition de SFR avec ses 15 000 collaborateurs, il y a trois ans, Altice a dû changer ses méthodes de management. « D'une part, le "canal historique" ne pouvait plus tout faire tout seul, explique notre source. D'autre part, il fallait institutionnaliser le groupe. Et pour cela, il fallait un grand patron, un peu issu de l'establishment. C'est à ce moment-là que Michel Combes
[qui venait de quitter la direction d'Alcatel-Lucent après l'avoir vendu au finlandais Nokia, ndlr] a rejoint le groupe. Patrick Drahi le connaissait depuis longtemps, et c'est un bon spécialiste des télécoms. Bref, il cochait toutes les cases. Il a donc été recruté pour institutionnaliser le groupe, et l'organiser avec des processus dignes d'une boîte de cette taille. »
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Le casting raté de Michel Combes
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